Souvent cette performance d'acteur
se fait au détriment du film, qu'elle est pourtant censée
sublimer. Le film n'arrive pas à se dégager d'un numéro
de cirque bien encombrant pour la mise en place d'un univers,
d'une atmosphère, d'une histoire. Le spectateur finit par
ne regarder que l'acteur et passe à côté de tout ce qui
l'entoure. Tel n'est pas le cas pour Monster. Concernant
la prestation de Charlize Theron, les premières minutes
sont trompeuses. Encombrée par son dentier, se comportant
comme un chauffeur routier en soutien-gorge, elle ne paraît
pas très à l'aise. Et le spectateur de se montrer dubitatif
vis-à-vis des moyens employés pour redonner une vie fictionnelle
à Aileen Wuornos.
Et puis, lentement, imperceptiblement, le charme opère.
Charlize Theron remporte l'adhésion par la palette d'émotions
dont elle arrive à colorer son visage. C'en est même fascinant.
Aileen Wuornos était une femme complexe entre fragilité
réelle et victimisation exagérée, entre violence intrinsèque
et monstruosité trop vite supposée. Charlize Theron arrive
à retranscrire avec talent ces ambivalences, ces contradictions
qui sont si souvent écartées par le manichéisme hollywoodien.
Et le nombre de prix - et pas les moins prestigieux (Golden
Globe, Oscar et Prix d'interprétation à Berlin...) - obtenus
par l'actrice d'origine sud-africaine pour son rôle dans
Monster n'est que très mérité.
Mais Charlize Theron n'aurait pas
pu réaliser sa très bonne prestation sans le talent de Patty
Jenkins. La cinéaste parvient à faire d'un sujet casse-gueule
non pas une bouillie mercantile comme on aurait été en droit
de l'attendre mais un film plutôt intéressant, à la frontière
du cinéma indépendant et du cinéma commercial. L'hybride
est étonnant, mais fonctionne bien. L'image est belle, la
photo est jolie. Des phares de voiture dans la nuit, des
bars emplis de vapeurs d'alcool, des appartements délabrés...
Patty Jenkins fait se déplacer ces personnages dans l'envers
du rêve américain, là où le chômage et la précarité règnent
en maître.
Et puis il y a ce contrepoint génial, Selby. Christina Ricci
qui l'interprète est peut-être la meilleure actrice de sa
génération. Dans la diversité de ses compositions, dans
l'ambiguïté toute humaine qu'elle donne à ses personnages,
elle se détache de ses collègues siliconées et les laisse
loin derrière. Déjà troublante sur le papier, Selby devient
par la magie d'une remarquable interprétation le véritable
pivot du récit. C'est elle qui interroge au plus profond
la notion de culpabilité. Pas Aileen. Aileen est coupable
et le trip féministe selon lequel elle aurait réagi à un
système machiste ne tient pas, même s'il est suggéré. Non,
ce qui fait débat, c'est l'attitude de Selby. Elle sait
ce que fait son amie pour l'entretenir, mais elle ne fait
rien pour l'en empêcher. Ce n'est pas de la complicité au
sens juridique du terme, mais c'est une grande passivité.
Souvent les cinéastes se servent
des faits divers pour construire une réflexion. Cela donne
de bons films, mais la réalité se trouve souvent tordue
pour ne pas gêner l'angle choisi par le réalisateur. D'autres
cinéastes essaient de retranscrire le plus exactement possible
l'enchaînement des situations. Quitte à créer des films
froids comme la mort et forcément imparfaits car la représentation
exacte n'existe pas. Heureusement d'ailleurs sinon il n'y
aurait pas d'art. Patty Jenkins, elle, procède autrement.
Elle parvient à trouver un juste milieu. Elle n'a pas de
thème précis, elle n'est pas une extrêmiste du factuel.
Dans Monster, on parle de rêve inassouvi, de misère
sociale, de frustration sexuelle, d'amour interdit... De
plein de choses pas glamour pour un sou, mais qui structurent
notre société. Patty Jenkins construit son récit - elle
est également scénariste - pour que le spectateur se pose
ses propres questions, pour qu'il suive son propre cheminement
parmi ce monde qu'elle développe devant nous. Bref, elle
fait du cinéma.
Titre : Monster Réalisateur : Patty
Jenkins Scénariste : Patty
Jenkins Directeur de la photographie
: Steven Bernstein, A.S.C. Décor : Edward T.
McAvoy Montage : Jane Kurson
Arthur Coburn Musique : BT Directeur musical
: Howard Paar Casting : Ferne Cassel,
C.S.A Interprètes : Charlize
Theron, Christina Ricci, Bruce Dern, Scott Wilson Production : Charlize
Theron, Mark Damon, Clark Peterson, Donald Kushner,
Brad Wyman Producteurs exécutifs
: Sammy Lee, Meagan Riley-Grant, Stewart Hall,
Andreas Grosch, Andreas Schmid Sortie : 14 avril
2004