Pour sa part, le réalisateur d'Adieu
pays est un grand fan de l'aridité formelle. Parfois,
ces films en souffrent plus qu'ils n'en profitent. C'est le
cas de Ici-Bas, l'un de ses courts métrages, qui frisait
l'insupportable par trop de sécheresse. Comme souvent dans
ses films, on retrouve dans Capitaine Achab une propension
à la lenteur, à l'ellipse et aux coupes rêches comme du papier
abrasif. Mais cette fois-ci Philippe Ramos parvient à maîtriser
son style, à le contrôler suffisamment pour qu'il serve son
propos. Résultat : Capitaine Achab se tient de manière
remarquable, sans temps mort ni faiblesses.
La réussite de Capitaine Achab repose
beaucoup sur la qualité de la voix-off. Rocailleuse, originale
par rapport à ce qui se pratique d'ordinaire dans le domaine
de la narration orale, elle donne une atmosphère toute particulière
au film. Capitaine Achab se distingue aussi par un
scénario au cordeau qui écarte le superflu, par une caméra
qui refuse le gros plan pour inclure les personnages dans
un paysage et enfin par une fort belle métaphore qui justifierait
presque à elle seule la vision du film. Pour évoquer la fameuse
baleine blanche, Philippe Ramos montre un corps de femme.
L'idée est saisissante d'à propos et éclaire le roman de Melville
sous un jour original. Moby Dick, ce grand roman
sur l'aveuglement humain, sur la folie vengeresse, sur le
fantasme de puissance prend subitement une nouvelle tournure.
Achab devient le mâle hétérosexuel dans toute sa splendeur
: plus ou moins castré par sa mère ou une figure maternelle
de remplacement - en l'occurrence une tante -, prêt à tout
pour planter son harpon dans le corps qu'il désire et incapable
de vivre en couple. Achab pourrait mener une vie paisible
avec Louise, mais il lui faut retrouver la mer pour défier
celle qui l'a rendu infirme. Capitaine Achab, une jolie
représentation du regard que les hommes portent sur des femmes
perçues par eux à la fois comme un territoire de conquête
et comme un lieu de perdition.
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Titre : Capitaine Achab
Collection : Portraits
Réalisation : Philippe
Ramos
Image : Laurent Desmet
Montage : Sophie Deseuzes
Producteurs délégués :
Michel Klein et Jérôme Larcher
Production : Les Films
Hatari, ARTE
Casting : Frédéric Bompart,
Valérie Crunchant
Durée : 22 min
Format : couleur, 35 mm
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