Ces trois femmes sont différentes.
Chacune a son caractère et correspond à un style musical.
Su Li Zhen est la femme mystérieuse, secrète, à l’image
de son gant noir qu’elle porte à une main. La musique qui
lui est associée est la musique de film au chapitre de laquelle
on peut trouver celle composée par Georges Delerue pour
Vivement Dimanche de François Truffaut ou encore
celle de Zbigniew Preisner extraite de Tu ne tueras point.
Bai Ling, elle, incarne la femme indomptable, féline perverse
aux robes à fleurs, mais qui se retrouvera prise à son propre
piège par la suite. La rumba et le cha-cha-cha illustrent
parfaitement la personnalité de la jeune femme. Enfin Wang
Jing Wen, l’apprenti écrivain sera la seule avec qui Chow
n’aura aucune histoire d’amour. C’est bien pourquoi Chow
peut se projeter dans le futur avec elle. Sous les traits
de l’androïde, elle incarne le personnage asexué, celle
avec qui toute relation amoureuse semble proscrite. Dans
ce monde futuriste déambule également Su Li Zhen, celle
qui obsède l’imaginaire de Chow, beauté intouchable, ombre
de lui-même irrécupérable après laquelle il court, mais
qu’il ne pourra jamais rattraper, comme ce train avançant
ou reculant selon qu’il revient dans le passé ou se projette
dans le futur.
Voyage dans la mémoire où l’écrivain se perd, ne sachant
plus à quoi se rattacher. La multiplication des temps évoque
le trouble intérieur auquel il est soumis. Ces longs couloirs
et autres lumières aux couleurs utérines reflètent ce qu’il
se passe dans son corps comme dans sa tête. Atmosphère lourde
et passions violentes écrasent le personnage et le mettent
devant des choix cornéliens et autres situations délicates.
Faut-il qu’il s’engage dans une histoire d’amour avec Bai
Ling ? Su Li Zhen acceptera-t-elle de partir en voyage
avec lui ? Comment faire pour que Wang Jing Wen accepte
un dîner le soir de noël ?
Amours contrariées. Tumulte ardent.
Toute la mise en scène se calque sur ces directives. Wong
Kar Wai compose alors une débauche visuelle éblouissante,
dans un style baroque qui n’est pas sans rappeler le cinéma
de Joseph von Sternberg, autre peintre des élans amoureux.
Cette chambre devient ce lieu équivoque dissimulant quantité
de secrets et de fantasmes encore inassouvis. La caméra
vient caresser les corps comme pour se substituer à l’acte
d’amour. Les teintes pourpres et chaudes sont comme des
enveloppes qui viennent réconforter les protagonistes. Et
un miroir qui nous renvoie l’ envers de la scène que
nous ne serions incapable de voir autrement témoigne de
la pudeur que le réalisateur a à l’égard de ses personnages
qui souffrent.
Film somme, 2046 est un véritable objet de fascination
qui ne demande qu’à être contemplé. Le film s’achève là
où il avait commencé. De ce trou noir où le temps n’obéit
plus aux lois naturelles, Wong Kar Wai a composé un ballet
d’opéra où les corps se croisent, s’empruntent les uns et
autres quelques instants, s’attirent, se repoussent avant
d’être condamnés à errer dans les arcanes du temps le cœur
endeuillé.
Titre : 2046 Réalisateur : Wong
Kar Wai Acteurs : Tony
Leung Ka Fai, Li Gong, Takuya Kimura, Faye Wong,
Ziyi Zhang, Carina Lau, Chang Chen, Maggie Cheung,
Wang Sum Scénario : Wong
Kar Wai Photo : Christopher
Doyle, Lai Yiu Fai, Kwan Pun Leung Musique : Peer
Raben, Shigeru Umebayashi Production : Orly
Films, Wong Kar Wai Distribution :
Océans Films Sortie le : 20
octobre 2004 Durée : 2h09mn