Nanni Moretti est né
en 1953. Autodidacte complet, il se mit, à partir de
1973, à faire des films. Des films d’art et de vérité.
Avec les plus modestes moyens qui soient (ses trois premiers
films sont en super 8), en filmant ses amis, sa famille, sa
vie. Et même lorsqu’il aura plus de moyens économiques
et esthétiques, il continuera à approcher le
cinéma de façon magistralement artisanale. Des
films modernes, loin de la grande tradition classique du cinéma.
Des films d’aventuriers. Oui, car lorsque nous sortons d’uns
de ces films, il nous revient facilement en mémoire
cette phrase de François Truffaut : "Le cinéma
appartient aux aventuriers". Et Moretti est bien
cela : un aventurier. Un aventurier en quête d’amitié,
de vérité, de sincérité, de lui-même.
Il est un homme perdu dans la béance existentielle.
Un homme incapable de faire partie d’une majorité,
muet au milieu d’une foule, et au contraire très expressif
en minorité, ou lorsqu’il regarde les autres.
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Il pratique un cinéma
qui le fait sortir de lui-même et l’expose aux lois
humaines, notamment à la société avec
laquelle il a fort à faire. Chacun de ses rôles
l’oppose directement à la foule, à un groupe,
dont il est le chef. Un professeur dans Bianca, un prêtre
dans La messa e finita, un cinéaste dans Sogni
d’Oro, Caro diario, et Aprile, et un joueur
de Water-polo dans Palombella Rossa. Des personnages
qui doivent requérir un grand sens du relationnel,
et des qualités humaines au-dessus de tous soupçons.
Ses personnages sont au début très consistants,
très sûr d’eux. Puis, en faisant douter ces personnages
sur leur statut, Moretti révèle en eux une querelle,
et les plonge dans une suite d’incompréhension et de
malaise vis-à-vis des autres. Ils sont pris par un
symptôme étrangement existentiel. Le professeur
dans Bianca épie les couples, et il lui est
impossible de vivre une relation avec une femme. Le prêtre
ne peut plus communier sa foi (comme plus violemment chez
Pialat, autre cinéaste moderne, dans Sous le soleil
de Satan) dans La messa e finita. Il s’enferme
dans la solitude. Ses proches semblent subir l’échec
de sa prêtrise : sa soeur est enceinte et ses parents
divorcent. Dans Palombella Rossa, les coéquipiers
de Michele/Moretti subissent son indifférence. IL ne
peut s’intéresser à eux, alors qu’il doute de
lui-même. Ses personnages deviennent parfois même
assez violents : le professeur dans Bianca frappe un
élève, le joueur de water-polo gifle une journaliste
dans Palombella Rossa. Moretti fait jaillir de chacun
de ses personnages une violence trop longtemps retenue. Ces
personnages se mêlent à la foule, et étouffent
au fur et à mesure que le récit se passe. Ces
personnages se confrontent aux pires situations de la vie.
Des situations extrêmes : extrême dans le tragique,
extrême à l’autre bout, dans le comique. Moretti
lie ces deux situations dans la même action. Par exemple,
le conflit qui l’oppose aux médecins dans Caro diario.
Il est atteint d’une maladie grave : le cancer. Et pourtant,
tout au long de ce passage, on ne peut s’empêcher de
rire, et d’ironiser sur la profession médicale. Ainsi,
des personnages qui refusent de se soumettre à l’ordre
établi, et difficilement assimilable.
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