Les films précédents
de Moretti ne véhiculent aucun message, aucune utopie.
Avec Caro diario, Moretti s’offre un retour à
la vie formidable qu’aucun de tous ces films réunis
n’apportent. Dans ses films précédents, Moretti
laisse toujours ces personnages errer dans la béance
existentielle. Ils sont incapables de vivre simplement, de
se marier, de fonder une famille (ce qui changera avec Aprile,
ou la difficulté de fonder une famille), de véhiculer
une croyance (La messa e finita), de croire en la vie,
d’aimer (Bianca). Tout au long de ses films, Moretti
allait de plus en plus mal. Palombella Rossa témoigne
d’une extrême solitude morale (amnésie), et physique
(son corps ne peut plus nager dans le bassin). Puis, il y
a eu la maladie, puis la guérison, qui a apporté
une autre façon de voir la vie. Dans Caro diario,
Moretti peut s’adonner à un bonheur simple, qu’il ne
remet jamais en question. Son seul désir : rester en
vie. La maladie lui apporte d’un seul coup la maturité,
que des films comme Bianca, ou Palombella Rossa
n’avaient pas pu lui apporter. Avant, il était dans
le non-savoir. Il ne s’impliquait pas directement aux conflits.
Avec Caro diario, il souhaite tout savoir, partager
ce qui se passe dans le monde, à chaque seconde, à
chaque endroit. Ce n’est pas le cinéma qui lui apporte
la sérénité, ni l’envie de communiquer
avec autrui enfin sans ressentir un sentiment de malaise.
C’est d’avoir échappé à la mort qui lui
permet de goûter à la vie et aux autres. Par
exemple, il veut chanter dans le bal, ou parler aux touristes
américains. C’est lui qui articule le récit,
promène ses amis, les fait réfléchir.
Dans ce monde dans lequel il ne peut véritablement
communiquer, il trouve les réponses nécessaires
pour vivre tout de même heureux. Respirer, être
en vie est bien plus important que de savoir comment il faut
mener son existence. Il définit tout au long du film
un réalisme documentarisant. L’épisode des médecins,
magnifiquement interprété, dans un ton juste
et angoissant à la fois, placé à la fin
du film, témoigne du basculement de sa non-communication
avec le monde (lorsqu’il se plaint de douleurs), à
la découverte difficile de sa maladie (puisqu’il n’appartient
pas à la masse), jusqu’à la révélation
que l’existence doit être savourée pleinement.
Moretti est un moraliste. Un moraliste qui ne se permet pas
de faire la morale. Curieux paradoxe. Il en est pourtant ainsi.
Un moraliste qui tourne en dérisoire sa propre morale.
Son but est de faire rire. Dans l’épisode avec les
médecins, il se moque du savoir médical, mais
aussi de lui-même, lorsqu’il se gratte dans son lit.
Il rit de lui-même. Un humour pudique, grave, jamais
blessant en apparence, sensible dans le contenu exposé.
LE CINEMA
Avec
Moretti, on ne sait jamais où commence le (faux)
documentaire, où commence la (vraie) fiction. Pour
deux des trois épisodes (le premier, et le dernier),
Moretti n’a pas besoin, on le pense, d’avoir recours à
la fiction. Par contre, l’épisode des "Iles",
plus fictionnalisé, nous apporte les éléments
nécessaires au retour à la vie de Moretti.
Dans le premier et le deuxième épisode, Moretti
enregistre tout ce qui est dans le monde, sans trahir la
réalité. Il découvre Rome, la population,
les quartiers de la ville. Ainsi, il respecte la réalité.
Dans les îles, il continue d’enregistrer tout ce que
le monde lui offre, les paysages, les enfants, les touristes,
en articulant son récit de manière très
fluide. Il filme la difficulté d’entrer en communion
avec autrui en caméra fixe, frontale, distante, jamais
outrageante certes mais toujours incompréhensive
aux autres.