Mardi. 12h 00. 4e étage
gauche.
Moins cinq, la télévision
française n°1 n’en a pas terminé. Vous nous
faites entrer. Vous vous excusez : nous n’aurons pas
longtemps à attendre. En effet.
L’appartement encombré
comme indiqué à la porte : Catherine Breillat
et précisé au-dessus CB Films : rien ne
semble pouvoir tout contenir et le reste est à sa place.
Un défi à Marie-Claire Déco. Et au maniaque
du rangement que je suis.
Vous, d’abord. A peine ai-je
le temps de m’apercevoir que vous êtes plus menue, plus
jeune, plus éclatante " en vrai "
que… Vous m’emportez dans la conversation avant de m’y installer.
Nous emportez. Vous ne laissez non plus se faufiler l’œil
de David à la dérobée. Vous le rappelez
à sa présence. L’œil, la voix. Point de poids
des photos sans choc des mots.
Déjà la pensée
rigoureusement en place. Les mots débordent le cadre.
Rompent. L’interview n’aura pas lieu. Un défi au prêt
à penser. Bien sûr j’ai dû vous sembler
ridicule à m’excuser de ne pas avoir mis mes questions
au propre. En ordre. Aujourd’hui, j’en souris. Comme vous,
alors : évidemment.
On a dû se battre
pour que le film ne soit pas interdit aux moins de seize ans.
Après les polémiques de Romance, on était
dans le collimateur… de l’agacement au triomphe vous riez :
on leur explique pas aux gosses, on leur montre pas comment
on met une capote. Moi, je le fais qu’on vienne pas m’emmerder.
vous dites encore qu’est-ce qui est choquant ? Le scandale
n’est jamais là où on le met. Pour mieux masquer
les vrais scandales. Nettoyage à Sec, c’est
un film correct, pas scandaleux. C’est marketing. C’est ce
que les gens peuvent supporter. Après ils sont fiers
d’avoir supporter quelque chose de très, très
choquant. C’est pas très novateur, or ce qui importe
c’est de donner une nouvelle vision des choses. Ça
vous scandalise.
Je tente l’interview. magnéto,
questions, calepin, stylo.
Question : dans L’Homme
Facile, vous écrivez… amusée, vous riez,
moi j’ai écrit ça ? La question restera
sur le papier. Vous la saisissez déjà. Le prince
charmant est la plus grosse arnaque faite aux petites filles.
Votre conte préféré c’est La Belle
et la Bête. L’amour qui rend beau, pas le contraire.
Après on ne sait plus assumer. On se/nous trompe sur
l’obscène. Vous dites justement…
Ce n’est pas le sexe, les
pratiques sexuelles qui peuvent être dégradantes
certes qui font l’être. Il y a confusion. Révoltante.
On fait du sexe un truc énorme qui précède
et qui fonde l’être alors que c’est banal. Le sexe c’est
l’affaire de l’être. Après faut juste assumer
cette part et on nous apprend pas, on sait pas assumer. On
devrait pouvoir tout assumer. Le pire, le moche y compris.
C’est nous dans nos failles. C’est difficile quand c’est pas
reluisant, mais je tends à ça. On est dans une
société de la réussite, c’est épouvantable :
il ne s’agit pas de réussir, il s’agit d’entreprendre,
de proposer. Aller sans cesse vers ce qui n’a pas été
fait. L’échec ce n’est pas de ne pas y arriver, c’est
de ne pas commencer. Se laisser porter. C’est comme bêler
avec le troupeau, c’est pire que tout. Impossible à
assumer. Pourtant ils assument. On leur dit que le scandale
est ailleurs. Ils renoncent à leurs rêves. Pas
seulement ça. La plupart des gens, dix ans plus tard,
sont devenus ce qu’ils exécraient à l’adolescence.
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