Perçante et perfide
vous interpellez David. Vous n’avez pas l’impression de faire
exactement le contraire de ce que vous espériez ?
Non, catégorique. Vous souriez, satisfaite… vous non
plus. A côté de vous, sur le canapé, un
chat gris apaisé. Endormi ? on ne sait jamais
avec les chats. Il l’a vu. Je ne le verrai que plus tard.
Avant de partir.
Je me dis que vous êtes
différente. Vous êtes plus épaisse, en
photo. Je n’avais jamais vu vos yeux verts comme… naguère,
j’avais une chatte avec les yeux verts comme les vôtres.
Vous pouvez bien dire les pires horreurs, avec des yeux pareils.
Vous pouvez étriper tous les princes charmants de la
terre, vous pouvez bien… Droit dans les yeux et me fixer.
M’acculer.
Et ce vert, pareil. La tête
dans les mains. Les notes au sol. Tous les artifices. Les
moyens sont bons. A se détourner. Ah, se… Vert d’eau,
les yeux menthe à l’eau comme une star de ciné.
Je ne suis pas un prince charmant. Voire, j’en oublierais
mes appréhensions. Mes angoisses, mes dégoûts.
Minuit sonne. Midi passé, alors. J’en oublierais que
le vert de la pourriture… les gazes camphrées comme
pour cicatriser les brûlures perméables intactes.
David allume un clope : j’arrêterais de fumer de
vous écouter - Nicotine Breillat.
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Un homme avec une fossette
là quand il sourit ne peut pas être totalement
mauvais, vous me dites. A moi. Le miroir au-dessus de votre
tête, vais-je me lever ? Ça pourrait être
clair, juste un examen rapide : sourire, pommette, fossette.
Alors, je m’avachis dans le fauteuil - trop profond, sur le
point de perdre l’équilibre - je m’éloigne.
Je cesse de sourire. Prêt à répondre comme
à n’importe quoi, sauf qu’une main sur la joue :
peut-être aurez-vous droit à un de ces glissements
de terrain, spasmes organiques que vous adorez, à moins
qu’un décrochement significatif de la mâchoire
soit votre seul remerciement à toute la peine prise
pour.
Et puis il y a la société
qui inocule la timidité et la pudeur. Vous étiez
effondrée face à votre fils rendu timide par
l’école où l’on conserve une observance des
rites conformistes en inculquant la honte de soi. De soi,
oui parce qu’on n’est jamais assez ci-ça-l-autre pour
exister, finalement. Vous éclatez de rire. Irrémédiablement,
posément ; brève, une voix qui se souvient :
on nous enseigne pas la liberté, on nous enseigne la
restriction. Le sens du sacrifice. Et on n’entend jamais parler
du plaisir. On nous surine entre l’innocence de l’enfance
et la responsabilité adulte on nous surine et pas un
mot sur le plaisir. Ou bien… Les jeux de construction de [mon]
enfance, les cubes et les cylindres se sont certainement cassé
le nez ici même.
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Evidemment on peut appeler
la psychanalyse à la rescousse. Mais, ça veut
dire quoi au juste ? Le succès de la psychanalyse…
c’est parce qu’on ne sait pas dire les choses. On ne sait
pas se parler. Mais personne n’entend. Mais personne n’écoute.
On enterre sans formuler. On paie quelqu’un à qui parler.
Pour écouter. Avec le soulagement de refiler le secret,
qui reste secret. C’est confortable. Finalement l’argent fait
le bonheur. Et on entretient la léthargie bourgeoise.
Ce n’est qu’une société chrétienne-bourgeoise.
Alors oui, il faut tuer la mère, c’est la condition
sine qua non pour toutes les jeunes filles. Mais tout ça
est très symbolique, c’est pourquoi je préfère
un vengeur anonyme. Un accident, j’y tiens. Et je vois bien
que ça fonctionne. Vous jubilez. Je le vois aux projections,
les gens crient. Pourtant c’est très simple, mais on
a oublié cette simplicité des effets.
On ne peut pas faire davantage
confiance au père. Il n’y a rien à attendre.
C’est l’autorité, le tabou. La mère transmet
bon an mal an la morale, et le père le tabou en tant
que borne érigée et rigide de la morale. Personnellement,
j’ai résolu le problème de l’autorité
paternelle : j’ai trois enfants avec trois pères
différents. Vous ne vous doutez certainement pas à
quel point vous me parlez à cet instant précis.
Je souris avec sympathie. Néanmoins je crispe.
Le couple et la longévité
qu’il instaure marque la fin. C’est une impossibilité.
Dans la quête du plaisir, qui, elle n’a pas de fin.
Vous n’êtes pas d’accord ? Bien sûr. Non,
bien sûr j’entends la logique de votre raisonnement,
mais de là à claironner ? Qui m’a compris ?
Je ne bouge pas, à l’encontre. J’oblique, c’est moi
qui pose les questions ici. Trop jeune pour être d’accord.
Trop beau pour être honnête. J’ai une question
qui n’a rien à voir. Une œillade sur mes notes, de
mémoire tout compte fait.
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