Le 6 octobre 2000, l’acteur
américain Richard Farnsworth s’est donné la
mort à l’aide d’une arme à feu à l’âge
de 80 ans, dans le ranch qu’il possédait à Lincoln,
petite ville du Nouveau-Mexique. Il avait quitté sa
résidence des Hollywood Hills au début des années
90 pour venir s’installer dans cette bourgade retirée
qui ne compte à peine que six cents habitants. Richard
Farnsworth aurait mis fin à ses jours pour faire taire
les souffrances dues à la maladie : en effet,
sa compagne a révélé qu’il était
atteint depuis plusieurs années d’un cancer des os
en phase terminale qui le paralysait partiellement. Sa fille
a ainsi déclaré que, la dernière fois
qu’elle a vu son père, au mois de juin, il ne pouvait
plus bouger les jambes. Le comédien était déjà
très souffrant quand il a interprété
le rôle titre de The Straight Story , mais
il avait voulu combattre la maladie en relevant le défi
que lui proposait David Lynch. De fait, quand le réalisateur
l’avait contacté pour lui offrir ce rôle, Farnsworth
avait très vite accepté cette chance mais il
craignait de ne pouvoir se révéler à
la hauteur, car l’opération chirurgicale qu’il devait
subir à la hanche le contraignait à se déplacer
avec une canne. Lorsque Lynch lui apprit que cela ne constituait
pas un handicap pour le film, au contraire même puisque
Alvin Straight marchait non pas avec une, mais avec deux cannes,
les doutes de Richard Farnsworth sur ses capacités
se dissipèrent et il se lança dans cette aventure
avec le talent et le bonheur que l’on sait.
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Son interprétation
à fleur de peau dans The Straight Story
lui a donné une renommée et un statut qu’il
n’avait jamais atteints jusqu’ici, probablement parce que
l’identification et la symbiose étaient totales entre
lui et l’homme qu’il devait incarner : c’est en 1994
qu’Alvin Straight avait fait sensation en conduisant une tondeuse
à gazon de l’Iowa au Wisconsin pour rendre visite à
son frère mourant avec lequel il était brouillé.
Sa composition, tout en aisance et en sérénité,
l’a jeté sous les feux de la rampe et lui a apporté
sur le tard ce que l’on qualifie bien souvent de rôle
d’une vie, aussi bizarre finalement soit cette expression.
Pour récompenser cette performance remarquable, on
lui a notamment attribué le prix du meilleur acteur
à l’Independent Spirit Awards et il a également
été sélectionné pour l’Oscar (la
statuette est revenue à Kevin Spacey, couronné
pour sa prestation dans American Beauty ). Le
hasard a d’ailleurs voulu qu’il devienne le nominé
aux Oscars le plus âgé de toute l’histoire, détrônant
ainsi Henry Fonda, qui avait remporté le trophée
pour La maison du lac de Mark Rydell en 1981
et qui représentait pour Richard Farnsworth le modèle
idéal de l’acteur.
Richard Farnsworth avait
eu l’occasion de côtoyer de près Henry Fonda
dans The Tin Star, réalisé par Anthony
Mann en 1957 : dans ce film, il en était même
la doublure. En effet, l’acteur Farnsworth n’est pas apparu
dans une des pouponnières de comédiens
que chaque studio américain se devait de créer
pour approvisionner ses propres productions : son parcours
est bien plus atypique et sinueux, conter sa vie invite au
voyage dans l’imaginaire hollywoodien et convie à une
plongée aux sources du cinéma américain.
Richard Farnsworth est né en
septembre 1920 à Los Angeles, mais l’insouciance propre
à l’enfance ne lui a pas été très
familière : il quitta l’école durant la
Crise de 29 et devint palefrenier dans un grand haras pour
gagner sa vie. Il travaillait toujours dans ces écuries
en 1937 lorsque des employés de la Paramount se présentèrent,
à la recherche de poneys pour tourner dans Les aventures
de Marco Polo. Comme ils manquaient également de
figurants pour incarner cinq cents cavaliers mongols, dans
ce film qui serait interprété par Gary Cooper
et réalisé par Archie Mayo, Farnsworth abandonna
son écurie, séduit par le salaire intéressant
qu’on lui offrait. Une longue carrière de figurant
puis de cascadeur attendait alors Richard Farnsworth, qui
endossa tour à tour les défroques de cow-boys
engagés dans des scènes de poursuites endiablées
à cheval, de fermiers menant les roulottes de la conquête
de l’Ouest, ou encore de tuniques bleues chevauchant la plaine
dans une charge de cavalerie. Ses premiers faits d’armes dans
le métier coïncidèrent avec l’âge
d’or du western, et il doit quelques-unes de ses plus belles
rencontres à ce genre cinématographique. Il
a ainsi travaillé pour des réalisateurs prestigieux
de l’époque, notamment John Ford (dans six de ses longs
métrages), mais aussi Michael Curtiz ( This is the
Army , 1943), Howard Hawks ( La Rivière
Rouge, 1948) ou, plus tard, John Huston ( The life and
times of Judge Roy Bean – Juge et hors-la-loi, 1972),
Robert Aldrich ( Fureur Apache, 1972), Sam Peckinpah,
etc.
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