La même année,
oubliant tous ses déboires relationnels et financiers,
il y a comme une sorte de trêve dans le duel Stroheim-Thalberg.
Et c’est peut-être ce qu’il peut y avoir de fascinant
chez Thalberg. C’est grâce à son goût artistique,
sa culture et son intelligence qu’il contribua à produire
au sein de la MGM les plus incroyables et originaux films
de l’histoire de Hollywood. Il parvient à trouver les
financements nécessaires pour tourner un projet aussi
fou que Greed. Il offre les pleins pouvoirs à
King Vidor pour un chef d’œuvre qui tranche avec tout ce que
l’on voyait à Hollywood en 1928 : The Crown.
Il produit le chef d’œuvre de Browning, Freaks, encore
au sein de la MGM. Pourtant, dans tous ces cas, il fait couper
(dépecer parfois) le contenu même du film comme
pour Freaks.
En 1925, Thalberg propose
que le projet de The Merry Widow soit confié
à Stroheim en pensant qu’il pourrait être l’homme
de la situation. Pour la première fois, Thalberg propose
un budget serré et promet un bonus dépressif.
10 000 dollars si le film est tourné en six semaines,
75000 pour sept semaines etc. Le film est tourné en
moins de 4 mois. C’est un succès financier. Le seul
de toute la carrière de Stroheim. Miraculeusement,
il ne s’agit pas que d’une œuvre de commande mais bien d’un
film portant la marque de Stroheim. Fasciné par les
costumes, les apparats de ces cours d’époque d’Europe
centrale, il reste un moraliste ensorcelé et écœuré
à la fois par la dépravation et la grandeur
disparue.
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En 1928 (le muet est fini),
il réalise son avant-dernier film The Wedding March.
Et là, évidemment, tout se répète.
Les feuilles de l’arbre ne tombent pas bien. Et il faudra
dix semaines de travail pour la scène du baiser. Tous,
des figurants à l’équipe technique, tout le
monde touche de l’or. Et le film traîne. Pourtant il
avait juré (comme au temps de Leammle que " juste
500 000 Dollars " suffirait). Le résultat,
après la voie ouverte par le remarquable Merry Widow,
est un autre chef d’œuvre. Baroque, scandaleux et d’un romantisme
enfin exprimé. Les deux héros de ce conte de
fée tragique sont des victimes. Victimes d’un monde
en pleine décomposition et corruption. Les idées
sublimes s’enchaînent sans que l’on soit " choqués. "
Tout à l’air naturel. Tout y est original, somptueux.
Il est incroyable de penser qu’il ne s’agit que de la première
partie du film, la deuxième partie ayant complètement
disparu. Un film à la beauté plastique époustouflante.
Le seul film qu’il nous reste où l’on approche presque
l’œuvre achevée. Mais les images sont crues (on pense
à Porcile de Pasolini et surtout à
The Damned et à The Innocent de Visconti).
Malheureusement pour Stroheim, il est un peu " en
avance " et, dans les années vingt, on refuse
et rejette ce qui paraîtra de toute façon encore
scandaleux dans les années soixante dix.
Gloria Swanson remet Von
sur le devant de la scène pour Queen Kelly.
Elle ne veut que lui. Le film, ou ce qu’il en reste (à
peine 40mn), est le plus bizarre et peut être le moins
réussi de Stroheim. Mais là encore, comment
savoir ? Le crêpage de chignon est d’une grande
violence entre la star infernale et le cinéaste particulièrement
excentrique. La scène dans laquelle un vieillard cacochyme
et baveux se délecte (pendant qu’un indigène
noir viole la douce héroïne) est un monument de
laideur et de provocation. On hurle à la démence
et il est viré pour la énième fois. La
dernière. A Hollywood, après le sabordage du
film par les producteurs eux-mêmes (en fait le père
des Kennedy, Joseph, amant de Swanson à l’époque !)
sa carrière de cinéaste est finie.
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Il continue à trouver
des emplois dans les années trente comme acteur dans
une série de films pas très réussis et
pas très originaux. A Hollywood, Irvin Thalberg meurt
à 37 ans. L’industrie change. Il se tourne vers l’Europe.
Entre temps les années ont passées et il détient
une sorte de stature mythique pour les réalisateurs
de l’époque. Il devient une sorte d’objet de culte.
Il est magnifique dans les très petits et dans le très
grands films qu’il tourne en France (le plus beau étant,
bien entendu, La Grande Illusion de Jean Renoir). Bien
sûr, il reste souvent l’assassin, le démon démiurge
et malfaisant… mais son français si germanique et son
inoubliable présence physique demeurent toujours aussi
cinématographiques.
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