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  Foolish Wives (c) D.R.
Mais nous sommes en 1919, et aux temps du muet, les hommes d’une grande volonté sortent très vite du lot. Il se rend à la Universal et devant le bureau de Laemmle déclare : " Laissez moi faire un film ! je n’ai besoin que de 5000 Dollars ". N’importe qui aurait ri mais Laemmle est Allemand. Il a en face de lui un figurant mégalomane déterminé. C’est alors que Stroheim, pendant de longues heures, va électriser le patron de la Universal. Laemmle donne 5000 et 30000 dollars de plus. C’est ce que coûtera le premier Stroheim : Blind Husbands en 1919. Ce qui sort du petit écran c’est du tout neuf, du jamais vu. Toutes les conventions du muet sont bouleversées. Laemmle hoche la tête : " Cher Stroheim, vous avez cinq ans d’avance sur nous ". Il assoit (dès son premier film) sa stature à Hollywood : cinéaste de génie. Alors on le traite comme tel : avec peur et respect. Les studios commencent à lui donner des millions de dollars. Il écrit le scénario de The Devil’s Passkey et de Foolish Wives.

Pour Foolish Wives en 1922 il écrit, met en scène, et interprète le rôle principal de cette immense fresque. Il fait reconstruire un casino de Monte Carlo dans le Studio. Il le veut en entier. Le décor le plus cher de l’histoire du muet. Mais Stroheim, qui fabrique d’immenses films très coûteux, n’est pas qu’un créateur de forme incroyable (on lui doit les contre-plongées déformantes, et les éblouissants travaux sur la profondeur de champ). Stroheim est aussi un fou en guerre. En guerre contre ce petit exécutif qui va bientôt devenir le plus grand producteur de l’histoire de Hollywood : Irvin Thalberg.

Greed (c) D.R.
Dès le début sur le tournage de Foolish Wives ce fut la haine entre les deux hommes. Thalberg supprime les deux tiers des cinq heures de projection de Foolish Ladies. On veux lui donner des ordres mais Stroheim est un capricieux. Il ne veut recevoir d’ordre de personne et gouverne en souverain pontife sur les plateaux. En revanche, dans les salles de montage ce sont les exécutifs qui règnent en maître. Très vite, la guerre reprend. Thalberg renvoie Stroheim après quelques mois du tournage de Merry-Go-Round. La nostalgie le taraude, Stroheim reconstruit le Prater de Vienne. Le dépassement de budget est incontrôlé. Stroheim est incontrôlable. Départ de Laemmle de la Universal. On veut le remplacer. Irvin Thalberg refuse et préfère continuer sa course à la Metro. A 25 ans, il devient le bras droit de Louis B. Mayer, le plus grand ponte de la MGM.

Malheur pour Stroheim, il tourne en 1925, Greed : Son chef d’œuvre. Attaquant un roman américain à la Zola : il délivre une fable monumentale sur la vilenie et la médiocrité de la nature humaine. Il montre le vrai, le sale. Il tourne tout en décors naturels. New York, c’est New York en 1925. Un petit coin de Californie sert d’ordinaire à tous les westerns et films exotiques qu’on tourne vite. L’action de son film se déroule à la fin dans la vallée de la mort. Tous à la vallée de la mort. Problème : même à l’ombre il fait 45 degrés. Toute l’équipe est malade. Sauf Stroheim. Gants blancs, bottes de cuir et petit couvre chef de safari. L’acteur Jean Hersholt finit sa prise, il est rapatrié aux urgences en Californie. Sauvé de justesse… Stroheim sans moque : il déclare devant témoin que de toute façon il a fini ses prises. Stroheim rend son film : une journée entière de projection avec une pause pour manger.

  Erich Von Strheim (c) D.R.
Montage original de Greed : 8 h 50mn. Stroheim aimerait le sortir en plusieurs fois. Deux, peut-être trois… Les patrons sont furieux, Thalberg aussi. Stroheim est renvoyé. On remonte sa fresque pour rendre une version sortable. Durée 2h05mn. C’est, encore aujourd’hui, la seule version existante de Greed. Sans rien savoir des Russes, il tourne comme eux. Il filme par association et démasque pour la première fois la réalité. La matérialisation du désir sexuel. Dans un égout où des rats sont morts, les deux amants s’embrassent. Un train furieux déchire la nuit et traverse l’image, en un plan de coupe très bref. Idée reprise plan par plan dans Fury, le premier film américain de Fritz Lang. Le " je le jure " du mariage est assombri. Au fond de la rue, dans le même plan, par la fenêtre derrière l’action : un enterrement… Les travaux sur les cadrages sont éblouissants. Quant au repas de mariage, c’est une effrayante et géniale collection de tronches qui bouffent de la tête de lapin. Zasu Pitts, qui vient de gagner à la loterie, préfère vivre dans la misère la plus totale que de dépenser son butin. La nuit, elle va au lit nue avec… ses pièces d’or. Stroheim dénonce la cupidité maladive d’une Amérique corrompue. C’est foisonnant comme du Dickens et noir comme du Zola. C’est sous un soleil de plomb, à coté d’un sac d’or inutile que l’on meurt. Le film reste un seul jour au Zoo Palass de la Ufa. Jamais alors on a vu pareil scandale. Sur le marché, c’est un bide monumental.