ELOGE
Le Hong-Kongais Lo Wei représente
l’archétype de l’illustre méconnu. Beaucoup
plus, et connu en Occident de bien plus longue date que ses
confrères de l’ancienne colonie britannique, il ne
bénéficie pourtant pas de leur notoriété
nominale. Petit maître authentique, plus profond et
techniquement plus habile que bien des fausses gloires, il
a été plongé dans l’oubli par le rayonnement
universel de la star qu’il a façonnée :
Bruce Lee. Tout le monde connaît Big Boss et
La Fureur de Vaincre, mais a-t-on jamais pensé
à regarder ces films pour autre chose que les combats
qui s’y déroulent, à savoir pour leur mise en
scène ? Certes non, et pourtant, à celui
qui s’y attelle, les révélations sont nombreuses
et les surprises de taille. Un vrai cinéaste est à
l’œuvre et non pas un faiseur comme Robert Clouse.
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Un vrai cinéaste, qui aime
les plans longs et larges (panoramiques au meilleur sens
du terme) et laisse ses personnages se mouvoir dans toute
la profondeur du champ, bref, un créateur visuel
qui maîtrise les trois dimensions essentielles de
l’image. Il suffit de regarder les plans d’ouverture de
Big Boss, beaux sans ostentation, d’une humilité
de peintre flamand et d’une grande précision atmosphérique.
Un vrai cinéaste, aussi, qui a su parfaitement, en
deux longs-métrages, construire le style et le mythe
Bruce Lee. Entre le premier combat de celui-ci dans Big
Boss et le grand et fabuleux règlement de comptes
final de La Fureur de Vaincre, un personnage se développe,
une façon de combattre, mais aussi une attitude face
à la caméra, une manière d’être
mis en scène, d’exister en tant qu’individu filmique,
qui n’est certainement pas seulement redevable à
l’acteur lui-même. Au début de Big Boss,
Bruce Lee n’est qu’un talentueux jeune acteur musclé,
une relève de plus dans la prolifique et parfois
inénarrable production locale, conduit à jouer
le bon dans une histoire un peu tirée par les cheveux
et qui s’avèrera d’ailleurs d’une noirceur et d’une
violence confondantes. A la fin de ce film, un mythe est
en pleine gestation. Je ne reprendrai pas ici ma comparaison,
qui figure sur ce même site, entre La Fureur de
Vaincre et son misérable remake, Fist of Legend.
Mais La Fureur de Vaincre n’est pas seulement un
film adulte du point de vue de son sujet et, bien entendu,
de son traitement, mais aussi parce qu’il est le film d’un
cinéaste et non pas d’un exécutant. A sa vision,
transparaît l’interaction productive entre une star
en devenir et son Pygmalion, deux hommes intelligents et
sensibles.