La mise en jeu de l’intime défini par
opposition au personnel comme ce qui peut prétendre toucher
le plus grand nombre crée un rapport direct avec le spectateur
par le biais d’une utilisation constante de la voix off. La
parole en voix off devient chez Dieutre comme le plus cinématographique
des événements de cinéma, à la fois comme adresse directe au
spectateur et comme tension permanente avec les images dans
une belle indécision entre fiction et essai documentaire. Impossible
de détacher cette parole des images car elle est toujours écrite
après le tournage. C’est en découvrant ces images que le cinéaste
laisse le soin à d’autres de capter que se construit le film.
Ce procédé de travail qui met à mal la conception d’auteur laisse
advenir l’imprévu, ce qui n’a pas été vu ou entendu ailleurs.
Mais c’est aussi en refusant l’actorat traditionnel, autrement
dit en ne faisant intervenir aucun acteur professionnel dans
ses films, que Dieutre donne par sa propre présence et celle
des autres une manière d’être-là en bordure de jeu qui crée
l’ « épaisseur de l’instant », qui fait que
quelque chose se condense.
Ce que Dieutre nomme « conceptuel
lyrique » est cette émotion issue de l’intime pris
dans un dispositif de cinéma qui laisse la place à des moments
de condensation de la réalité. Si la posture européenne et itinérante
du cinéma de Vincent Dieutre fait penser à la tradition littéraire
du récit de voyage, si la voix-off est toujours très écrite,
si Mon voyage d’hiver semble s’inscrire dans la tradition
du roman d’apprentissage, Dieutre reste avant tout un cinéaste
car en se référant aux autres arts que sont la musique classique,
la peinture ou la littérature. En refusant la référence cinéphilique,
il accède ainsi à une incroyable disponibilité à laisser entrer
le monde dans son cinéma pour atteindre un sentiment de réalité
qui affleure. S’il fallait néanmoins d’un point de vue esthétique
rattacher ses films à une famille de cinéaste, ce n’est ni du
côté du communautarisme gay ni du côté du cinéma expérimental
qu’il faudrait chercher, mais plutôt du côté de Naomi Kawase.
Le cinéma de Dieutre, comme celui de
Serge Bozon, de Henri-François Imbert, de Guiraudie, Fitoussi
ou Grandrieux, dans son affirmation minoritaire, sa diversité
de propositions esthétiques mais aussi dans son souci à penser
l’économie du cinéma défie les catégories traditionnelles du
cinéma français.