Summer of Sam, qui retrace la
chasse à l’homme du tueur en série qui sévit à New à la fin
des années 70, marque un tournant dans la carrière de Spike
Lee. Si, quatre ans plus tard, Bamboozled (une
satire des noirs qui se donnaient en spectacle en se ridiculisant)
lui offrira une nouvelle occasion d’évoquer sa communauté,
il met provisoirement de côté les thèmes qui lui sont chers
pour s’adonner à un nouveau genre. Proche d’un clip par la
vitesse qu’elle dégage, la réalisation surprend. Agréablement,
bien sûr. Bien accompagnés par la musique punk et disco d’époque,
les plans se succèdent à une vitesse effrénée. Un an auparavant,
He Got Game donnait les premiers signes de changement.
Derrière une histoire a priori anodine, la cohabitation inédite
d’un des meilleurs acteurs au monde (Denzel Washington) et
d’un néophyte en la matière (Ray Allen, basketteur professionnel,
choisi par Lee pour jouer son propre rôle), pour un résultat
étonnant. C’est désormais évident, le metteur en scène a évolué.
La 25ème Heure le remet pour de bon au goût
du jour. « Il faut donc oublier que Spike Lee fut
d'abord ce porte-parole du cinéma black, trublion vindicatif
et adepte du politiquement incorrect » écrivit alors
un critique. Le film est presque parfait. Dans son désespoir
et ses regrets, le New York post 11 Septembre y est habilement
comparé au personnage principal du film, un dealer de drogue
qui s’apprête à passer sept longues années en prison. Personne
n’a oublié le cri de désespoir, stupéfiant, d’Edward Norton,
l’homme en question, à l’encontre des différentes communautés
de la ville : le célèbre « j’emmerde » inspiré
du Taxi Driver de Scorsese. Big Apple comme
toile de fond ? Rien d’étonnant, la quasi-totalité de
ses films s’y déroulant. En 1993, Spike Lee réalisait même
un long-métrage en hommage à Brooklyn, quartier où il a grandi
(Crooklyn). « La ville qui ne dort jamais »
est bien plus qu’un lieu de tournage : un véritable
personnage, représenté sous ses multiples facettes. La force
du metteur en scène est de montrer à quel point ceux qui y
vivent entretiennent des rapports complexes, s’aiment et se
détestent.
L'HOMMAGE DU CINEMA MONDIAL
Passées les polémiques stériles, le
monde du cinéma rend aujourd’hui hommage à ce metteur en scène
de génie, comme en témoigne le César d’Honneur qui lui fût
remis en 2003. Sa faculté à travailler ses personnages pour
les rendre toujours plus crédibles et humains, à se rapprocher
de la réalité, est reconnue et admirée de tous. La caméra
est une loupe grâce à laquelle il analyse la société dans
laquelle il vit. Sans complaisance, parfois crûment même.
A l’image d’un Alan Parker et de son combat de toujours pour
la liberté, Lee place l’Homme au centre de tout. Le résultat
est toujours marquant. Il propose une alternative au manque
de relief du cinéma actuel, pousse le public à s’interroger,
pointe du doigt les problèmes, rompt les tabous. L’humour
est parfois une façade derrière laquelle la réflexion s’impose.
Pas de super héros, d’agents secrets aux pouvoirs invraisemblables,
de science-fiction délirante. Mais des Hommes, simplement
des Hommes. Ni franchement bon, ni franchement mauvais :
naturels.