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May possède une conception de l’amour tellement extrême que
cela l’empêche de nouer des liens banals, ordinaires, avec
les gens. Cela peut être mal perçu par son entourage qui se
questionne et finit par la rejeter, comme ce petit ami (Jeremy
Sisto, excellent), apprenti cinéaste friand d’holocaustes
cannibales et d’Argento, qui semble avoir tous les atouts
requis pour incarner le prince charmant : ouvert, mignon,
sympa, bizarre et pourvu de belles mains. Des mains que May
ne cesse de reluquer maladroitement. Mais, en dépit des apparences,
cela ne durera pas. Cette relation a priori adéquate (les
deux semblant se convenir) débouchera sur une rupture. De
la cristallisation de l’être idéal à la déception fatale,
l’espoir a pourtant été grand. De même qu’il y a une passade
amoureuse avec Polly, sa collègue de bureau (Anna Faris) et
un illuminé de service (James Duvall, acteur underground,
déjà vu dans les Gregg Araki et plus récemment dans le superbe
Donnie Darko), ce ne seront que des échecs qui la retrancheront
dans ses instincts les plus bas lors du massacre final.
LUCKY E(S)T MAY?
Bouleversé par la lecture du Frankenstein de Mary Shelley
qui selon lui retranscrit au plus juste le mal-être de l’homme,
Lucky McKee reprend à son compte ce mythe (May finit par collecter
quelques membres de ces désillusions amoureuses pour en faire
une seule et même personne) pour édifier une fiction robuste,
redoutable et intelligente qui se tient droit et ne faillit
jamais. Lucky Mc Kee, que nous avons eu l’occasion de rencontrer
en février, nous confie : «J’ai écrit le scénario de May
alors que j’étais au collège. Vous savez, il y a un peu de
moi dans le personnage de May : nous avons tous les deux un
strabisme, nous avons dû porter un bandeau lorsque nous étions
à la maternelle, et nous avons été confrontés à des gens auxquels
nous nous sommes attachés trop vite et desquels nous attendions
trop en retour. Ces situations de la vie de tous les jours
peuvent être vécues par des gens comme vous et moi.» En
filigrane, le cinéaste démonte le mécanisme amoureux et autopsie
les ravages de l’imagination. Par intermittences, il n’hésite
pas à lancer quelques clins d’oeils aux gialli transalpins
dont il est client (ses cinéastes préférés sont Scorsese et
Argento), notamment à travers une mise en abyme amusante où
le personnage d’Adam présente son film amateur à May, «Jack
et Jill», dont le générique final est ponctué d’un regia
di, que n’auront guère reniés les maîtres du genre. Quelque
part entre Dans ma peau de Marina de Van, Répulsion
de Roman Polanski et Kissed de Lynne Stopkewich, trois
films précieux, rares, qui décortiquaient les maux de femmes
en proie à des crises intérieures et fâchées avec le monde
tel qu’il est, May ne ressemble pourtant qu’à lui-même.
DROLE? NON. TRISTE ? OUI.
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De l’humour dans May ? Que nenni : «Souvent, lors
des projections-test, j’ai entendu le public s’esclaffer de
rire alors que la description du personnage de May est tout
sauf humoristique. J’ai essayé de transmettre l’émotion qui
émane de cette folie en insistant sur les failles. Cela me
déçoit comme j’entends des rires, car je me dis à ce moment-là
que j‚ai raté ma cible». Lucky Mc Kee fait montre d’une
sensibilité hors norme : il s’extrait du cadre confiné de
la critique sociale et pose sa caméra dans les zones d’ombre
d’une jeune femme marginale qui découvre l’impossibilité bouleversante
de faire confiance en l’être humain : «La morale du film
pourrait être que toutes nos imperfections nous rendent uniques.
C’est ma façon de concevoir la vie. Cela m’a été influencé
par la musique de Nirvana où le chanteur montait sur scène
pour chanter des morceaux empreints de souffrance, des shows
pendant lesquels il communiquait cette douleur avec le public.»
Sorte de liturgie mortifère troublante, May sonne
comme un constat terrible qui semble indiquer qu’il est plus
facile de céder à la normalité que d’imposer sa singularité.
Orgie sanguinolente, le quart d’heure final est déchirant
mais conclu par un dernier plan superbe qui apporte un peu
de lumière dans cet enfer ténébreux. De l’espoir dans ce réceptacle
de colères, de refoulements et de frustrations.
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The Woods (2004) de Lucky McKee avec Lauren Birkell,
Agnes Bruckner
May (2002) de Lucky McKee avec Angela Bettis, Jeremy
Sisto
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