Comme l’assure Céline, " le
style demande du travail ". Il demande alors
une intense dévotion… dévorante ! C’est
avec la fièvre dans le corps, l’épine dans le
cœur, la blague subtile aux lèvres, que Jean Vigo bâtit
son œuvre. On lui donna cinq ans. Cinq ans… c’est le temps
que mit Céline pour écrire Voyage au bout
de la nuit. Et au bout de ses cinq ans, il y a cette réponse…
cette même réponse qu’aurait pu entendre Jean
Vigo… cette réponse émanant du comité
de lecture chargé d’examiner… c’est le cas de le dire,
le manuscrit de l’ " argonisateur " Céline :
" roman communiste contenant des épisodes
de guerre très bien racontés. Ecrit par moment
en français argotique un peu exaspérant, mais
en général avec beaucoup de verve. Serait à
élaguer. " Nous tairons le nom de l’auteur
de cette impardonnable et monumentale erreur. Nous garderons
au contraire cette phrase d’un autre Membre du Comité
de lecture, plus tard : " J’aime que M.Céline
se soit lancé tête baissée dans son histoire,
sans plan, sans souci de règles, sentant bien qu’un
livre où un homme se met tout entier trouve et impose
son architecture. " Tout est là ! " L’Atalante ?
mauvais pour le service ? Oui… bon… alors, élaguez…
élaguez ! "
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Jean Vigo a subi un sort plus tragique
que cette lamentable " critique " de l’œuvre
de Céline. Je le répète, jusqu’au dernier
jour de sa vie, Jean Vigo s’est donné comme rarement
un homme peut se donner pour une œuvre de cinéma. Ce
qu’on peut lui reprocher ? De ne pas avoir été
malin. Mais… est-ce donc un reproche ? Evidemment… non !
L’une des dernières phrases que Jean Vigo prononce
sur son lit de mort à un ami, et rapportée par
ce dernier, témoigne de son inconscience de certaines
réalités économiques et du mépris
évident de certains hommes, certains " hauts
responsables " : " J’ai été
bête de m’être trop donné… d’avoir mis
trop de cœur dans ce film (L’Atalante). Je t’en
prie, ne m’en parle plus. " Mais… pour le plus
grand plaisir des amoureux transits de ce " Septième
Art " comme le nomma le Premier dès 1908,
Ricciotto Canudo, poète italien tristement oublié,
croqué par Picasso, gentiment opposé à
l’impressionnisme de Delluc, pour ce " grand plaisir ",
il faut remercier la " bêtise "
de Vigo, qui n’a pas laissé SON cinéma former
la pensée d’une industrie féroce et par la suite
celle d’une nation détestable qui se perdra tout à
fait, un peu plus tard, dans un conflit mondial atroce où
la lâcheté sera à l’honneur et le courage,
ce courage qui définit si bien l’auteur de L’Atalante,
mis en doute. Pendant que SES contemporains critiquaient l’aspect
décousu de ses films, ils ne voyaient pas l’Emotion
Fugitive, le Sublime que révèle LE
geste, le " constamment humain "
qu’Elie Faure, l’un des rares à faire son éloge,
a vu. Finalement, ils n’ont pas remarqué que Jean Vigo
a rendu éternel l’Ephémère !
Et voir l’Ephémère, c’est voir, comme
le cinéma, " l’ange dans l’homme "
selon une formule de Jean Epstein, autre exilé forcé…
de la création cinématographique !
Ainsi, après le Génie Scientifique
des Frères Lumière, la Magie de Georges Méliès,
le Langage de David W.Grifftith, l’Universel de Sergueï
Eisenstein, l’Indépendance Tenace de Erich Von Stroheim,
la " Caméra-vivante " de
Dziga Vertov, la Violente Désespérance de Murnau,
s’imposa, avant Orson Welles et le Mensonge " Vrai ",
l’un des derniers mystérieux Gardiens du cinéma :
Jean Vigo et… l’AMOUR FOU !
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1934
L' Atalante / Le Chaland qui passe avec Michel
Simon, Jean Dasté
1933
Zero de conduite avec Jean Dasté,
Henri Storck
1931
Taris ou la natation
1930
A propos de Nice
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