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Jean-Claude Brisseau (c) Stéphane Legrand JEAN-CLAUDE BRISSEAU
Rencontre avec un honnête homme
Entretien réalisé en 2001
Par Nadia MEFLAH
Photos de Stéphane LEGRAND


Jean-Claude Brisseau est né à Paris en 1944. Il enseigne le français dans un collège de la banlieue parisienne, devient cinéaste amateur, croise Eric Rohmer et travaille pour l'INA (Institut National de l'Audiovisuel) qui produit en 1978 son premier long-métrage pour la télévision La Vie comme ça …


JE SUIS UN AVENTURIER

Rencontrer Jean-Claude Brisseau impressionne sur deux points : l'homme est grand, très grand et sa voix impérieuse n'en atteste pas moins d'une sensibilité toute féminine. Il a accepté avec une générosité qui lui fait honneur de nous accorder un long entretien ou sa voix rocailleuse, étourdissante de fièvre cinéfils, tisse le lien de sa mémoire d'homme du cinéma. Chez lui, Jean-Claude Brisseau vous écoute, attentif, l'oreille aux aguets, soucieux de respecter la demande de l'autre, cet humain qu'il ne cesse de transfigurer à travers tous ces films. L'homme est aussi suffisamment homme pour laisser transparaître une séduction à double tranchant, à la fois Gary Cooper (le fauve endormi) et la brutalité triste telle John Wayne dans La Prisonnière du désert de John Ford.

  Céline (c) D.R.

Sa filmographie atteste d'une rigueur implacable rare dans le cinéma français, dans sa capacité à réinscrire le genre dans une logique de désir de cinéma. Son premier film Un jeu brutal commence par un meurtre dans les bois, scène d'horreur digne du cinéma maniériste américain des années soixante-dix. Il annonce et préfigure tous les fils rouges que le cinéaste n'aura cesse de tisser et d'approfondir : la violence au cœur de la vie, la corruption sociale, la quête de la lumière, le désir érotique, la famille, la transmission du savoir, la mystique du présent. Cinéaste matérialiste, Jean-Claude Brisseau est frère de Jacques Tourneur pour sa capacité quasi sidérante à nous faire douter du plan (Céline est à ce jour le plus grand film fantastique, à tous point de vue, du cinéma français moderne) mais aussi de John Ford (la communauté, l'histoire, la terre) et d'Anthony Mann (la culpabilité, la violence) lorsque le cinéaste a cœur de transmettre une histoire d'homme. Son dernier film, Les Savates du Bon Dieu radicalise son propos politique lorsqu'il donne à voir un jeune homme tournant en rond dans son jouet, une Ferrari rouge. Film romanesque ou la cavale des amants/voleurs évoque celle sublime de Henry Fonda et Sylvia Sidney dans You only live once de Fritz Lang 1937, Jean-Claude Brisseau, et ce malgré la fin ambiguë du récit, affirme sa volonté, presque désespérée, de croire encore à l'amour. Ce cliché, terme que certains journalistes lui assènent et reprennent sans en comprendre tous les liens et filiations que cette idée d'image (un cliché) sécrète comme richesse potentielle, situe l'auteur dans une perspective de recherche (les genres) mais aussi de preuve (le temps du récit).


" JE SUIS ARRIVE AU CINEMA PAR L'AMATEURISME COMPLET "

Jean-Claude Brisseau : Je suis entouré de films de gens morts. C'est quasiment un cimetière que j'ai autour de moi, les cinéastes ne sont plus là. Ils sont morts. Sauf ceux de la Nouvelle-Vague et Jean-Luc Godard m'avait beaucoup marqué, surtout dans sa première période, jusqu'à Week-end en 1967. .Après moins. Godard ne me paraissait pas extrêmement novateur dans tout ce qui s'est dit autour du montage, en ce sens que Welles l'avait fait avant lui. Selon moi, l'essentiel réside dans Le Mépris en 1963 et surtout dans cette phrase le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs. C'est exactement ce que je voyais dans ces films lorsqu'il décidait de mettre sa caméra à dix ou vingt mètres pour filmer une bagarre et prenant ainsi un caractère dérisoire. Ou bien, brutalement sa voix off et les coupes font que l'on fuit vers quelque chose d'autre. Ce décalage poétique m'était très frappant.