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Il s’agit là de la relation, que fit Mme de Sévigné à Madame de Grignan, d’un incident certes digne d’être évoqué en détails dans une correspondance privée, mais sur lequel on sent qu’il est inutile de s’appesantir et de s’apitoyer outre mesure selon son point de vue. Cette lettre, ainsi que les mémoires de Gourville et autres comptes-rendus de fêtes parus dans la Gazette de l’époque, ont servi de trame générale pour le scénario concocté par Jeanne Labrune (Si je t’aime, prends garde à toi) et assaisonné à la sauce hollywoodienne, d’où sont souvent exclus les piments trop épicés et les aromates trop exotiques. Il semble que les producteurs, intimidés par l’ampleur de la reconstitution, aient décidé de ne pas prendre le risque de tenter de dépasser ce que l’on attend habituellement d’un film en costumes. Le feu d’artifice a réussi, et il a coûté plusieurs dizaines de millions de francs, mais un film est-il un feu d’artifice, un pur spectacle visuel à l’existence éphémère? On peut également imaginer que les collégiens trouveront là une illustration bien documentée sur la vie de la Cour au XVIIe siècle, sur les fastes qui y étaient déployés, etc. Il est impossible de nier que la recréation des spectacles d’automates est impressionnante, que les costumes, les maquillages, et l’ensemble du décorum sont irréprochables, que l’approche de la condition des femmes aristocrates, simples objets de plaisir, est finalement assez juste, mais un film est-il un simple documentaire à vertus pédagogiques?

Vatel (c) D.R.

En fait, comme en 1671, Roland Joffé semble n’avoir que faire du personnage de Vatel, qui ne paraît pas l’intéresser à sa juste valeur… A l’instar des courtisans qui se promènent dans le parc, nous sommes nous aussi à l’extérieur de la scène, dans l’impossibilité d’être touché outre mesure, lorsque Vatel se suicide au terme d’une série de déconvenues amoureuses, professionnelles et sociales. Il y avait pourtant une fable poignante à tirer de la vie de ce fils de laboureurs et d’artisans picards parvenu par ses seuls talents personnels à gravir les échelons de la société et à franchir les barrières des immuables Ordres Sociaux. Or, que devient Vatel ici, sinon un ordonnateur de fêtes un peu naïf, apte à séduire les plus belles femmes du royaume comme le frère du Roi, et dont on ne sait pas au juste pour quelle raison précise il met fin à ses jours... Comment saisir la tragédie que vit cet homme sans revenir sur son passé, sur ses origines roturières, sur l’ambition et les motivations profondes qui ont pu le conduire à suivre cette carrière au service des puissants ? Aussi fidèle soit la reconstitution historique, elle ne permettra jamais d’évoquer la complexité d’un seul homme en ne se concentrant de façon si superficielle que sur les dernières heures qu’il a vécu…

Ces ratés sont d’autant plus regrettables que l’on entrevoie parfois, au détour d’une scène, des éléments qui se trouvaient sans doute en germe dans le scénario de Jeanne Labrune mais qui n’ont pas été traités comme ils le méritaient. Pourquoi par exemple ne pas avoir insisté davantage sur la haute conception de l’honneur qu’éprouvait apparemment Vatel, au point de se suicider, plutôt que d’avoir imaginé une banale et grotesque histoire d’amour avec une des favorites du Roi ?… Une mise en scène est souvent une mise en lumière de certains faits, une volonté de souligner certaines étapes du récit et d’en laisser d’autres dans l’ombre.