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  Mimi (c) D.R.

Telle n'est pas la démarche de Claire Simon avec Mimi. La documentaliste rejette toute dimension événementielle. Le tournage ne correspond pas à un moment particulier de la vie de son héroïne, ce n'est que l'instant choisi par la réalisatrice pour faire une sorte de bilan de l'existence de cette dernière. Claire Simon nie l'extraordinaire pour se consacrer au banal, à la vie d'une femme dont l'existence n’est pas véritablement hors du commun. Le père de Mimi Chiola est mort d'une occlusion intestinale pendant la Seconde guerre mondiale. Il avait été blessé quelques jours auparavant par une mine alors qu'il cueillait des citrons dans un jardin à l'accès gardé par des soldats allemands. Le chef de famille n'arrivait plus à subvenir aux besoins alimentaires de sa famille. Il apportait parfois des rats à sa femme et à ses deux enfants, en les leur présentant comme des cochons d'Inde achetés sur le marché noir. Mais au fil des mois les rats ne suffisaient plus. Les citrons gorgés du soleil niçois en paraissaient d'autant plus alléchants.

Blessé par des éclats, il est resté plusieurs semaines dans son lit, en convalescence. Un jour, une voisine croyant bien faire lui proposa un morceau de pain. Le père de Mimi avait faim, mangea le pain et en mourut. L'histoire est tragique, mais n'a malheureusement rien d'extraordinaire. Durant la Seconde guerre mondiale, les drames humains de ce type, et des bien plus affreux, ont été nombreux. S'il fallait faire le portrait de tous ceux qui ont perdu leur père pendant cette sombre période, les cinémathèques déborderaient de toutes parts.

800 km de différence Romance (c) D.R.

Autre élément majeur de la vie de Mimi : son lesbianisme. Claire Simon retrace le parcours amoureux de son héroïne, de ses premiers émois à ses plus récentes flammes. Mimi raconte différentes anecdotes sentimentales, de ses fantasmes d'enfant à ses passions d'adulte, de ses liaisons successives avec une cousine joueuse de tennis, une collègue de travail aux formes généreuses, ou une inconnue rencontrée en pleine rue et quittée sans un mot sur le quai d'une gare. Mais là aussi, cet attrait pour les femmes n'a rien d'exceptionnel. Si l'on devait réaliser un documentaire sur chacune des lesbiennes de France et de Navarre, les critiques de cinéma décéderaient tous d'hyperactivité.

Claire Simon fait de cette banalité le centre de son récit. Elle préfère filmer une personne sortie de la masse qu'une célébrité, espérant faire jaillir de son documentaire un concentré d'humanité et une certaine forme d'universalité. Il est vrai que les joies et les peines ressenties par Mimi et évoquées dans son portrait filmé ne sont pas très éloignées de celles qu'un spectateur lambda connaît lui-même. Le phénomène de transfert est alors censé fonctionner à plein. Mais comme dans son premier film 800 km de distance romance, où la réalisatrice mettait en scène la relation amoureuse qu'entretenait son adolescente de fille avec un garçon habitant loin du domicile parisien familial, Claire Simon échoue dans son entreprise faute de véritable sujet.

  Tosca (c) D.R.

Mimi possède des qualités cinématographiques indéniables. Les mouvements panoramiques partant de l'héroïne pour se fixer sur le décor avec Mimi continuant en fond sonore de raconter sa vie sont remarquables. Même s'ils deviennent à la longue quelque peu systématiques. Replacer dans les lieux où ils se sont produits les événements qui ont marqué la vie de Mimi ou bien les transposer dans des endroits différents pour en faire resurgir certains aspects est une idée intéressante. En effet, cela permet de parler du fonctionnement de la mémoire sans entrer dans une réflexion intellectualisante.

La mise en situation des bouts d'existence de Mimi, le long d'une voie ferrée ou au bord d'une rivière, montre combien les souvenirs fonctionnent à partir de lieux, d'ambiance, de sons et de parfums. Et le simple fait de se trouver à l'endroit exact où l'on se tenait quelques dizaines d'années auparavant et d'y ressentir des sensations analogues détient une force d'évocation impressionnante. Et presque inquiétante, car elle indique que l'eau a beau passer sous les ponts, les souvenirs sédimentent et s'accrochent en profondeur pour mieux réapparaître à la moindre période de sécheresse affective.

D'autres dispositifs mis en place par Claire Simon sont moins heureux. L'utilisation de la musique comme élément du récit est ainsi particulièrement ratée. Passer Tosca en surimpression sonore d'un long et ennuyeux travelling le long d'une rocade niçoise ressemble plus à du remplissage qu'à l'expression d'une idée précise. De même, les apparitions épisodiques de deux musiciens, Mohammed Mokhtari au violon et Diego Origlia à la guitare, sont extrêmement artificielles. Supposées souligner la culture méditerranéenne de Nice, ces interventions musicales sont à chaque fois hors sujet.