Au final, c’est l’impression d’une
enfilade marabout de ficelle de courts métrages virtuels,
souvent passionnants en soi (la partie « Village-qui-vit
et Village-qui-meurt » par exemple, avec ce beau personnage,
récurrent chez Guiraudie, du vieux qui se donne à aimer et
que l’on aime parce qu’il n’a plus rien d’autre à offrir),
comme si le cinéaste les avait gardés sous le boisseau sans
jamais les avoir réalisés (on sait que le scénario est issu
d’un roman que l’auteur a écrit il y a plusieurs années de
cela sans l’avoir jamais édité) et qui ne trouvent pas toujours
le moyen d’être soutenus ensemble par la mise en scène. Pour
aller plus loin, on regrettera également que se greffe sur
le disparate du récit un relâchement conséquent du point de
vue de la forme, moins ferme qu’auparavant, la rigueur de
géomètre tatienne ou straubienne des cadres fixes et des plans
longs ayant été le plus souvent remplacée par des recadrages
souvent incertains et des mouvements chaloupés, exécutés en
steady-cam que rien ne justifie… Si ce n’est une économie
un peu plus étoffée, autorisée par le succès d’estime (et
amplement mérité) recueilli à la suite de la sortie des courts
et moyens métrages, et sur laquelle Guiraudie s’appuie afin
de rassurer des financiers qui ont misé sur lui tout en rassurant
également la poignée d’aficionados que celui-ci essaie visiblement
de garder fidèle, à l’image du troupeau de chèvres appartenant
au berger-guitariste de folk-punk (eh oui !) du film.
Qui, dans un beau plan, joue pour elles au moment de la traite
(on a alors la furieuse envie de boire ce lait et d’en apprécier
la saveur particulière, surtout quand on connaît la façon
artisanale dont on le produit).
Le tournant toujours difficile du
long métrage, s’il paraît mal négocié (pour reprendre
un des motifs d’un film zébré de dérapages carabinés), peut
aussi signifier que Guiraudie a décidé de pratiquer une
purge quant au trop-plein de récits qui peuplent son imagination
fertile. Il semblerait même que le cinéaste ait réalisé
là son dernier film adolescent, en cela conforme à la trajectoire
du personnage principal, projection à peine stylisée de
Guiraudie lui-même. « Le processus d’individuation »
vise dans Pas de Repos pour les Braves à établir
que la volonté nécessaire d’arrachement (représentée par
une image littérale – les habitants d’un village entier
abattus au fusil de chasse) du milieu d’origine devenu amorphe
(cf. le clin d’œil à l’usine AZF de Toulouse), dévitalisé
en termes d’actions à vouloir entreprendre, de récits à
vouloir raconter, de mythes à vouloir instaurer, oblige
ce même milieu à subir, de par l’extraction même, un infléchissement
subjectivé sévère de ses lois physiques, conséquemment plongés
dans différents bains méta, bains révélateurs et
colorés que sont ceux que représentent les genres. Pour
que, main dans la main, une symbolique archaïque à la Jung
(la farandole bergmanienne d’où surgit le mythe de Faftao
Laoupo que narre Basile dans le premier plan du film, en
tout point programmatique) et une praxis combinant morale
de l’action et éthique faite corps (exemplairement le personnage
de Johnny Got avec son allure de Daniel Auteuil jeune et
provincial) puissent converger, fusionner.