Voir du sexe en action,
tel est le programme réduit de ce cinéma où l’image se doit
être la plus explicite, la plus opératoire et efficace pour
un effet optimal sur le/la spectateur/trice. Son monde s’appelle
exhibition, ses pays de grandes fellations, des sodomies à
répétition et le coït invariable accès convenu du porno hétérosexuel.
Tout se veut visible, tout est dans le cadre, dans la bouche,
dans le sexe, dans le cul. Marcel Proust peut naître dans
ce monde, lui qui ne peut sentir et voir qu’au travers du
prisme opacifié de sa pensée perpétuellement recréatrice du
monde ; l’horreur est le trop près, trop proche. Ni même
cet obsédé de ses propres sensations, à l’écoute acharnée
de ses moindres mouvements, esquisses de pensée qu’est le
grand Fernando Pessoa : “ Je vis d’impressions qui
ne m’appartiennent pas, je me dilapide en renoncement, je
suis autre dans la manière même dont je suis moi (...)
Pour me créer, je me suis détruit ; je me suis tellement
extériorisé au dedans de moi-même, qu’à l’intérieur de moi-même
je n’existe plus qu’extérieurement. Je suis la scène vivante
où passent divers acteurs, jouant diverses pièces”
(2). Le X ne se réclame d’aucune intériorité, au contraire,
il s’affiche hors, totalement. D’ailleurs la preuve policière
de la vérité de l’acte sexuel s’exprime dans le sperme toujours
montré. Filmer l’éjaculation hors du sexe de la femme ou de
l’homme atteste l’expérience vécue. Car il s’agit, dans la
pornographie, de la société d’expériences ; où il faut
avoir fait son expérience garantissant les sensations et ainsi
la découverte de soi, le droit à l’individu de ressentir.
Le senti, la sensation serait une instance supérieure, un
projet de vie, une utopie charnelle du direct, du tangible,
éminemment arbitraire car sans raison, sans contrôle sur le
réel si ce n’est une aptitude gaie à le vivre pleinement.
Le sexe encore et encore pour rien, pour tout.
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Domaine du visible et du
ressenti, duplicata du réel, du vrai sans recul ni distance.
Tout est là, dans l’image et rien d’autre ailleurs car il
n’y a rien à découvrir dans le porno, ni à déchiffrer, tel
est la vérité de ce cinéma spectacle. Le X se réclame du fait,
du moment, de l’action, donc du très gros plan car tout existe
dans le champ de l’objectif. Le hors-champ s’abolit, le faux-semblant
n’est pas de mise. L’enjeu du porno - la performance, l’efficacité,
la réussite - détermine le découpage et l’échelle des plans
pour tout film X : le plan d’ensemble pour toute “ partouze ”,
le très gros plan sur les sexes humides. La panne ou la défaillance
sont exclues, ce qui en soi est assez impressionnant pour
tout homme à caractère sexuel normatif. C’est dans cette implacable
performance continuelle que réside la première invraisemblance
du porno. Tout comme son caractère monstrueux où il est frère
du cinéma primitif, de ces spectacles forains exhibant ses
bêtes de cirques, ces natures prétendument prises sur le vif.
L’image pleine du sexe devient
son propre signe et de là naissent l’ennui et la fascination.
L’ennui car je ne peux habiter mon propre présent, je ne suis
que l’objectif enregistreur des gens réduits à des corps,
des corps réduits à des objets, des objets réduits à des fonctionnalités :
mouiller, lécher, sucer, avaler, enfoncer, éjaculer. Ma sensation
est mutique. Humide et fade. Je sature. Je me vertige, abolition
de moi. Déliason. Pierre Legendre me réconforte : “ l’image
est la question de l’homme enlacé dans son désir” (3).
L’autre est le visage de la femme. Celle par qui la fiction
affleure, où elle tire le film de sa nullité pornographique
vers quelque chose d’autre. John B Root l’a très bien compris
dans son dernier opus Exhibition 99, en filmant obstinément
des femmes avec qui il ne cesse e dialoguer. La femme est
le visage actant, désiré et désirable. L’homme, très rarement,
est filmé comme un personnage fictif ; paradoxalement
il est le plus objecté, la bête de foire c’est lui, le pur
objet sexuel absent de par sa neutralité à l’image. Exception
faite de quelques rares mâles surdimensionnés tel le beau
Rocco... là encore singularisé comme objet étrange donc à
voir.
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