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Cette fameuse image de la réalité se réclamant du fait et du savoir faire m’est très proche, captivante et troublante dans son désir têtu de montrer encore et encore, sans médiation, où les corps se présentent hors monde tout en se présentant comme le monde même. Ma fascination vient du caractère éminemment matérialiste du porno car le matériau sexe dicte et impose au film son contenu et sa forme. Voir faire que faire ici. Il n’y a pas de place pour une histoire, ni même pour des personnages et leur psychologie. Le film, en fait, se projette peu comme je me projette peu dans le film, le début et la fin me paraissent être de pauvres concessions à la norme du marché cinématographique. La fin tout comme son commencement sont donc totalement arbitraires, la durée m’importe peu. Le temps du cul n’est pas le temps du visage et c’est pour cela que c’est pornographique. Le X n’est pas l’histoire, il est le risible à voir. Ma fascination et dans le même mouvement mon ennui provient de ce temps qui se bouffe la queue ; il ne se laisse pas prendre, non, seulement voir. Il fatigue et énerve mon désir, mollement. Je suis excitée parce que je regarde obstinément du “ faire l’amour ”. Plus précisément, mon ennui ne nuit en rien à mon plaisir de voir le film porno, il m’offre au contraire une attention flottante au défilement continu des images de cul. J’éprouve deux plaisirs, celui primaire de l’image - voir une fellation, un cunnilingus, une pénétration - et celui second de la distraction, de la distance gaie, observation dédramatisée de la bande qui peut défiler dans l’indifférence heureuse. Je suis mise en scène différemment des films dits classiques, je deviens spectatrice de la non-narrativité du cul, la nullité du porno permet l’accès à l’ennui fascinatrice.

Sauvage Innocence (c) D.R.

Le film porno fabrique donc un régime de visibilité spécifique, une opération de dédoublement où je suis à la fois très près de l’écran et dans le même temps très loin. Ce va et vient caractérise le X, dans cette mécanique de l’ennui et de la fascination, où il énerve mes sens pour tout aussitôt les amoindrir, annuler ma tension. Je deviens molle, la langueur m’étreint, nul besoin de structurer ma compréhension du film ou d’activer ma lecture intellectuelle. Le porno épargne le sens pour la sensation. Or je peux me projeter, me reconnaître dans un visage, celui de l’actrice. La femme est le visage dans le monde du cul, celle par qui la fiction affleure. Emmanuel Lévinas a écrit ses belles paroles : “ Si on pouvait posséder, saisir et connaître l’autre, il ne saurait pas l’autre(4), le véritable argument du cinéma porno est l’excitation de la femme, elle est imagée et non représentée, toujours en creux. La femme ne se saisit pas, et cela fait peur aux hommes. Alors ils la fabriquent et la triturent, elle reste une image. Alfred Hitchcock devrait être la figure tutélaire de tous les cinéastes X, comme lui ils ne cessent de filmer la femme ; la baiseuse baisée ici ; la désirable tueuse là-bas. Comment ne pas rappeler à notre saveur les mots de Louise Labé, poétesse des sens “ baise-moi, baise m’encor et rebaise ”. La jouissance du verbe et de la transgression sont hélas oubliés dans le porno. Là réside toute la tristesse pornographique de tous ces films. Ces cinéastes du cul sont loin très loin d’Alfred Hitchcock pour qui le sexe n’est pas la limite mais l’organe meurtrier, déjà mort, en putréfaction car le désir, chez lui, n’est que l’impossibilité concrète de le réaliser La femme devient tout et rien.

Le féminin instaure le trouble dans le prédicat du genre, à savoir montrer la réalité des actes sexuels non simulés. Elle crée le faux, le factice, la profondeur dans l’image. Elle creuse le champ lisse du porno, introduit le doute et par là, la fiction. Elle fait disparaître le cul pour le visage, même si elle est le cul seulement sous les regards des hommes. Elle échappe, difficilement certes, à la trituration et au déchirement de son corps par son jeu, outrancier, fragile et naïf. Les films hétérosexuels que j’ai pu voir montrent continuellement le fantasme du viol de la femme par plusieurs hommes, acte désigné sous le terme de gang band. L’actrice est filmée comme un trou multiple, un orifice extrêmement malléable, une chair décomposée à presser, compresser et enfoncer. C’est terrifiant et j’ai l’impression de voir un film gore, sensation d’horreur diffuse car ces histoires sont filmées raisonnablement, dans les limites soft et consensuelles. Je me rappelle alors les Histoire(s) du cinéma de Jean Luc Godard et sa question terrible de la pornographie des images, ce que peut fabriquer d’inhumain l’humain avec un corps. Une scène X, où un sexe enfonce un sexe noir de poils, image grasse colorée collée et sur-impressionnée à un charnier gris, blême, froide dans sa clarté. La chair bestiale, bestiaire du regard avide et coupable.