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Coupable car nous savons que nous ne voyons que de la carne et que le dire est éminemment pornographique, alors nous mentons en nous disant, en nous croyant émus, nous sommes seulement apeurés car le corps qui meurt nous fait crever de peur. C’est pour cela qu’il n’y a pas de grand cinéaste porno car dès lors il faudrait en passer par ce chemin de croix ; la peur, la mort et la Rédemption. En fait, je crois profondément que le sexe à l’écran ne doit pas se voir mais plutôt se dire et s’entendre. Les organes génitaux sont les oreilles et la bouche chez Sade. Dans sa cellule, il retravaillait le verbe violemment, il ne laissait rien en dehors de la parole, elle devait penser et dire l’inconcevable. Elle se situait dans le règne des hommes pour leur Histoire. Relisons Sade pour enfin ne plus admettre cette inodore mollesse du cœur, toutes ces images un tant soi peu cochonnes que nous montre misérablement le cinéma porno. La transgression sadienne se trouve dans son discours libertin, d’un homme emprisonné, où le récit de la perversité compte tout autant que la concrétisation de l’acte pervers lui-même. Je pense qu’il y a un continuum permanent entre le dire et le faire et Dolmancé, personnage principal de La Philosophie dans le Boudoir, jouit de ses mots racontant de réjouissantes excitations provoquant à son tour de nouvelles ignominies orgiaques. Une Sale Histoire de Jean Eustache est le parfait exemple et en même temps son contraire. La saleté, les odeurs, la jouissance enfin résistent violemment à toute représentation. Le cœur du cul échappe, il s‘évanouit à l’instant où l’on croit le tenir. Là se situe la naïveté imbécile des cinéastes X, croyant faire du terrible quand ils ne font que reproduire le discours dominant du sexe policé, lisse, aimable en somme. Domestiqué, annihilé en une chose molle et flasque ; le cul retrouve de sa vigueur provocatrice avec Eustache. Je pourrai dire qu’avec lui, le cul est à la fois excitatif et déceptif. Il me ré-jouit et me fatigue dès lors que la parole met en branle mes sens, affolant mon cerveau et mon sexe. Le sadisme du réalisateur, calculé, s’éprouve dans sa volonté farouche de ne rien nous donner. Pas de réciprocité dans la jouissance. Pas de plaisir sans peine. Le sexe se révèle dans les mots racontés, par leur puissance d’évocation créatrices d’images rêvées. Voir plutôt qu’avoir, principe sadien par excellence, cependant personne ne passe à l’acte après l’écoute du récit, ni Michaël Lonsdale, ni Jean-Noël Picq. Dolmancé, oui. Libertin jouisseur de paroles, il affole ses partenaires avec sa philosophie de la perversion et passe à l’acte.

  Sauvage Innocence (c) D.R.

Le passage à l’acte s’annule dans la parole chez Jean Eustache. Elle crée le cinéma. Il n’y a pas d’images obscènes si ce n’est dans la tête du spectateur. La puissance dévastatrice du réalisateur se joue à ce niveau, de ce déni du réalisme, du vrai. Le réel est mis à poil, le faux est plus vrai que le vrai, la pornographie est la mesure du petit spectateur pris au piège de son pauvre désir de voyeur. Il n’y a rien à voir mais tout à entendre. L’image du cul n’est pas la réalité du cul. N’oublions pas Magritte avec sa fameuse pipe... L’obscénité de cette sale histoire vient de sa capacité à nous fasciner et dans le même temps à nous affoler, acculés que nous sommes dans notre misère sexuelle à vouloir voir ce sexe de femme dans un trou de chiotte, le visage collé au sol pisseux. Le pouvoir de sa parole et sa puissance d’évocation réduisent à néant toute tentative de représentation du cul. Le dispositif, cruel, excite mes oreilles recréant à l’envie des images imaginaires au jeu des personnages. Mais plus encore diabolique le parti pris formel du cinéaste : il a inversé le monde, mis la copie avant l’original pour dire toute la pornographie du “ réalisme ” au cinéma. Le comédien Lonsdale est plus véridique que l’homme Picq à dire l’organe, le trou noir, l’origine du monde. Le dévoilement du réel doit cheminer par ce trou raconté jusqu’au dégoût et la fiction affleure par cette inversion de l’ordre du récit. Le spectateur est mis à nu, mis à terre. C’est donc la question terrible de la représentation, ici mis en danger, borderline, que nous expose de manière presque vindicative Jean Eustache. Le cinéma porno sera à hauteur d’homme quand il pourra être capable de créer la dualité et ainsi la possibilité d’un monde obscène. Il faudrait que les cinéastes du X perdent leur naïveté imbécile pour la toute puissance relative de l’image de la réalité. Filmer un cul n’est pas la réalité du cul, seulement sa pale copie molle. La réalité du cul doit passer par le faux, la fiction devenir son origine pour pouvoir s’éprouver comme cul totalement.