Dialogue et bande-son
En fait, Hitchcock a seulement retourné
les séquences où le dialogue pouvait jouer un rôle clé. Autrement
dit, la bande sonore a été soigneusement étudiée, ne laissant
aucune place au superflu. Dans un film initialement prévu
parlant, le son peut quelques fois meubler. Mais dans Chantage,
il est trop précieux pour ne pas avoir d’autre utilité. Et
quelle utilité... Il entretient majestueusement le suspense.
Certains sons seront d’ailleurs, à cet effet, reproduits au
cours du film. Sachant cela, les contrastes, sans doute déjà
recherchés dans la version initiale, n’en deviennent que plus
flagrants. Et le film plus explicite.
Ainsi, les premières minutes sont muettes,
comme pour appuyer le fait que Frank n’accomplit que la routine
de son métier de policier. Par contre, le son ponctuera dès
après cette séquence des moments précis. Le raccord sur un
cri, tout d’abord, est unique. Il est situé entre le plan
où Alice voit un homme allongé dans la position du peintre
mort, et celui où la femme de ménage découvre le cadavre dudit
peintre. De son vivant, une sonnette avait pourtant semblé
le mettre en garde d’un danger imminent. En effet, elle a
retenti quand il a cherché à obtenir des informations sur
le mot laissé à son intention par la femme de ménage. Soit,
peu de temps avant le meurtre. La sonnette de la boutique
familiale résonnera ensuite dans la tête d’Alice comme un
glas, lorsque Frank arrive le lendemain du meurtre. Et elle
fera presque la même impression à Tracy, quand le collègue
de Frank vient pour l’arrêter. Ces sonnettes semblent à chaque
fois prévenir le malheur qui guette les personnages. Cependant,
ironie de Hitchcock, la sonnerie du téléphone qui leur fait
écho à la fin sauvera Alice, alors prête à se dénoncer.
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Parallèlement, le réalisateur
présente un autre trio : celui des sifflements, des chants.
Ils concernent ici encore les trois mêmes personnages. Le
peintre, au piano, Alice, représentée par son canari, et Tracy,
au cours de son petit-déjeuner. Frank reste une fois de plus
en dehors de ce trio, mais c’est lui qui orchestre le tout.
Plus généralement, la musique a d’ailleurs un rôle informateur.
L’air que pianote le peintre est plutôt enjoué au début.
Puis soudain, l’artiste
donne un grand coup sur le clavier et arrête de jouer. Le
suspense est alors à son comble. Tout comme aux moments où
Alice sort de chez l’artiste, et où elle rentre chez elle.
Car la musique devient plus prenante. Autant d’indices, laissant
présager d’une suite mouvementée, ou visant simplement à augmenter
la tension.
Dialogue et suspense
Pareillement, le dialogue
à proprement parlé nourrit le suspense. À l’exemple de la
scène du petit déjeuner. En effet, la commère prononcera quatorze
fois le mot «couteau» en très peu de temps. Ce mot est concentré
sur quelques secondes. On n’entendra parler de l’objet ni
avant, ni après. Il revient donc volontairement, de manière
obsédante, tout comme les bras et les images qu’Alice voyait
un peu plus tôt. Le dialogue renforce d’autre part, pour le
spectateur, le pouvoir du maître-chanteur. Ce dernier se permet
de s’inviter au petit-déjeuner, et crée par là même un mini-conflit
entre Alice et sa mère. Il avait, de façon identique, renforcé,
toujours vis-à-vis du spectateur, le pouvoir de persuasion
du peintre pour convaincre Alice d’entrer chez lui. Cela dit,
son propos était ici assez courtois, désorientant un tant
soit peu le public. Mais tout cela, en fait, pour mieux le
tenir en haleine. A l’exemple encore de la scène du salon
de thé, au début du film. Le gant troué d’Alice fait l’objet
d’une mini-discussion. Elle ne sera légitimée que plus tard,
et cette fois sans commentaires : quand Alice, Frank et Tracy
ont tous les trois la main sur le fameux gant.
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