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Car Laetitia Masson ne fait pas dans le détail, de la même manière qu’on dirait, en se permettant une analogie picturale, qu’un monochrome de Klein est moins détaillé qu’une peinture de Piero della Francesca. A vendre, c’est un récit construit autour d’une série de monochromes : personnages, couleurs, lieux, tout cela est facilement identifiable, et pourtant, comme le monochrome bleu de Klein, reste un mystère, quelque chose comme une fascination pour la profondeur implicite cachée derrière l’apparente littéralité, d’aucuns diront la tautologie d’un monochrome : qu’est-ce que le bleu peut bien nous montrer, sinon lui-même ? En apparence il ne dit rien (alors que La flagellation du Christ de Piero della Francesca regorge d’intrigues et de gageures formelles), pourtant on pourrait rester des heures devant et ne jamais s’exclamer (quoique certains le fassent) : c’est de la peinture bleue ! Non, il y a autre chose.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

A vendre, c’est un peu cela. Derrière les clichés apparaissent les réactions inexpliquées des personnages, les trous noirs de la psychologie, les ellipses du récit, le caractère flottant de la morale et la tonalité incertaine du film : est-ce gai ou triste, sérieux ou désinvolte, ironique ou compassionnel ? Au contraire de La vie rêvée des anges, programmé dès sa première minute, sans pour autant faire de ce programme un enjeu du récit – à la manière du fatum grec – le film de Laetitia Masson est régit par le principe d’incertitude. Ce qui motive son héroïne nous ne le saurons jamais, sinon que son existence est jalonnée « d’hommes et de stades », comme le dira le détective magnifiquement campé par Sergio Castellito, autant dire une simple formule, là pour montrer que s’échiner à expliquer est vain, qu’on en est réduit à se laisser porter par le gouffre de l’incompréhension et vivre avec. Pour cette raison, taxer les personnages de clichés a quelque chose d’étonnament ingénu. Le cliché y est à l’œuvre sous une forme pure (le film fonctionne autour de figures dépouillées de tout vérisme – ce qui, évidemment, n’est pas la même chose que la vérité), mais dans le même temps, l’utilisation de figures planes est, chez Masson, systématiquement couplée à la présence de zones obscures. L’hyper-lisibilité de ces silhouettes (les bouseux bêtas à la campagne, les bourgeois exploiteurs à Paris, le mafieux généreux à Marseille) finit, au fil du film, par se consumer dans la terreur existentielle qui anime les personnages. L’angoisse les guette mais n’advient jamais, sinon subrepticement, juste assez pour nous les montrer comme des être, non comme des figurines de papier ou des trucs de scénario. Car une fois le cliché réduit en cendres, il ne reste qu’un grand trou noir. Une béance. Un flou. D’où les décadrages, surexpositions et flous visuels dont use la réalisatrice, parfois jusqu’au formalisme (c’est sa limite), souvent de manière parcimonieuse et glaçante. à un plan classique, américain [1], rapproché ou très serré, descriptif en somme, répond un cadrage fou, une lumière détonante, comme autant de montée d’inquiétude, de déséquilibre, d’appels à l’absurde. L’à-plat (les parents de Kiberlain filmés frontalement) a toujours son contrepoint (l’utilisation du flou lors de la vente d’une chambre à coucher chez le muet). De même que les parents, sous leur apparente bonhomie, sont peut-être des monstres de cruauté, les personnages voient se fissurer le cliché qui les constitue, lequel, à ce point réducteur, ne tient plus face à l’obscurité dont Masson charge ses personnages. Cliché et obscurité ainsi réunis, binôme improbable, avancent main dans la main et débouchent sur des personnages dissociés, vaguement schizophréniques. L’univers en devient flottant, sans véritable point d’ancrage, avec une prédilection pour les lieux de transits : aéroports, chambres d’hôtels, appartements étrangers, abribus, macadam. A vendre ne se situe donc jamais dans la seule littéralité mais suggère la présence du point de fuite dans un univers en deux dimensions, la profondeur dans le schéma.

Par différence, La vie rêvée des anges d’Eric Zonca est, au mieux, un film du plein, de la clarté, du visible, au pire, un film simpliste, lisible, lisse.