Pour Visconti, le roman de l’américain n’est
qu’un prétexte, car « n’importe quelle autre intrigue
[lui] aurait servi de la même façon. (…) C’est plutôt
la façon de développer l’anecdote qui importait. ».
En fait, tout le film fonctionne sur des
trios, un personnage est au centre et à chaque extrême se
place une valeur positive et une valeur négative, soit incarnées
par des personnages, soit matérialisées. L’exemple de Giovanna
met en évidence la place du destin dans ce film. Le personnage
est en réalité un point de symétrie. En effet, c’est elle
qui a manigancé la mort de son mari, et finalement, elle meurt
dans un réel accident de voiture. De plus, elle apprend à
Gino qu’elle attend un enfant de lui avant de mourir, et c’est
une enfant qui les trahie à la fin et les livre à la police.
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Si le destin ici en cause représente un
point faible chez le romancier comme chez tous ses autres
adaptateurs, Visconti se montre original à l’époque. Tout
le film tend à une définition précise de ce destin. La musique
aide à cette définition. Elle est présente dès le début, au
cours du générique. Le ton est grave et le thème revient assez
souvent dans le film, chaque fois que le destin et la fatalité
se resserrent sur les deux amants. Visconti arrive à faire
de ce destin un point fort, parce qu’il le justifie. Il lui
substitue purement et simplement des raisons trouvées dans
les mœurs. La « fatalité » fait place à des causes
sociales, psychologiques et morales par la description du
milieu. L’anecdote est donc solidement implantée et participe
à un certain réalisme. Cela dit, le film ne plaît ni aux autorités
civiles ni aux religieuses qui en dénoncent l’ « immoralisme ».
Dès la sortie du film, les autorités provinciales en ont interdit
la projection, et l’exploitation s’achève de manière désastreuse.
« Le film commença une carrière mouvementée dans les
salles de projection. Il était projeté deux ou trois fois
puis était retiré par ordre du préfet local. », précise
Visconti.
Cette histoire, à l’origine
psychologico-policière est transposée très adroitement si
bien que les sous-entendus échappent à la censure, pensent
certains. Selon eux, Visconti brosse un tableau précis de
la pauvreté du peuple italien et met en accusation le régime
fasciste de manière à peine voilée. D’autres trouvent ridicule
de chercher des traces de fascisme dans ce film, les réalisateurs
étant pour eux des opposants virtuels qui marquent leur désaccord
en fuyant l’actualité, en présentant une Italie désuète et
intemporelle, poussiéreuse, ignorante de la politique et de
la guerre. Cela dit, tous s’accordent à dire que le film illustre,
du moins partiellement une conception des rapports sociaux
à la fois acceptée et refusée par le régime mussolinien.
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Cependant, le tournage a
eu lieu dans d’excellentes conditions. Le budget est important,
les aides sont faciles. Ossessione est annoncée et
attendue à l’avance, soutenue par une large fraction du monde
cinématographique. Le gouvernement a laissé passer un film
que ses agents locaux vont persécuter. Le film juxtapose en
fait, ce qui fait son ambiguïté, des personnages abstraits,
ordonnés suivants quelques contrastes simples, définis par
la place qu’ils occupent les uns relativement aux autres,
et des stéréotypes, immédiatement reconnaissables grâce à
leur costume et à leur attitude. Si les premiers n’existent
que dans la fiction et sont faciles à distinguer par tous,
il faut au spectateur un minimum d’informations pour faire
de même avec les seconds. Les spectateurs de l’époque ont
d’abord vu en Ossessione un tableau vivant de la province
italienne, composé par un cinéma soucieux de vérité. Visconti
veut « rendre comme un tableau de l’Italie »
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