Il établit dans ce film
un système relationnel fonctionnant de manière circulaire.
Au centre d’un cercle se trouve la vedette, et elle entretient
des relations exclusivement sentimentales avec ses partenaires.
Un second cercle voit évoluer des personnages dont les intentions
sont contrées par ceux du premier. Il s’agit par exemple de
Spagnolo qui essaie de détourner Gino de Giovanna afin qu’il
parte sur les routes avec lui. Le milieu dans lequel évoluent
ces personnages est qualifié de « populaire ». Le
paysage de la campagne est neutre, banal et pour ces raisons
ne se remarque pas. Cependant, un Italien reconnaîtra certainement
que l’action se déroule dans la basse vallée du Pô. Visconti
ne semble pas vouloir en dire davantage, puisque ses prises
de vue se limitent à la trattoria et à son entourage direct,
ne révélant aucun autre bâtiment. Seul l’orchestre présent
à un moment donné permet de se faire une idée du pays, de
ses habitants, de ses modes de culture. Par contre, la ville
est beaucoup plus explicitée : la voie ferrée, la place
où Spagnolo donne un spectacle, le jardin public de Ferrare,
ses rues quand Gino se rend chez Anita puis quand il s’enfuit.
La prise de vue de Visconti fait ressortir beaucoup d’activité,
les rues sont prises en enfilade, le plan est coupé par des
lignes obliques (les murs par exemple), qui donnent du volume
et du dynamisme à la ville. Cela dit, Visconti ne les oppose
pas volontairement, elles font simplement partie de son film,
et appuie en quelques sortes les personnages féminins Anita
et Giovanna.
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L’«opposition » de
ces deux femmes cache donc celle de la vile et de la campagne.
Plus exactement, la ville a un cadre, la campagne n’en a pas.
Du point de vue des personnages, la femme « négative »,
Giovanna, est aussi la femme qui habite à la campagne ;
la femme « positive », Anita, a un appartement à
Ferrare. La campagnarde est jugée avec réserve, la campagne
n’est pas vue ; la ville est regardée avec attention,
la citadine est valorisée.
Gino se trouve être le point
de symétrie de la construction des deux personnages féminins,
qui sont l’inverse l’un de l’autre. Comme en témoigne leur
rencontre avec cet homme : Giovanna le rencontre dans
un lieu fermé, elle est vêtue de noir, a une occupation futile,
et ses déplacements sont désordonnés. Anita voit quant à elle
Gino en plein air, elle est habillée de vêtements clairs,
a une occupation utile, et ses déplacements sont ordonnés.
Gino voit Giovanna et Anita avant le spectateur, et le comportement
des deux femmes ne se définit que par leur attitude à l’égard
de l’homme. Giovanna défie Gino du regard, Anita baisse la
tête ; Giovanna est entreprenante, Anita attend que Gino
vienne la relancer chez elle ; Giovanna fait tout pour
retenir Gino, Anita l’aide à partir. Cependant, si Giovanna
semble tenir le rôle de la femme active et Anita celui de
la femme passive, l’image morale qu’elles projettent est complètement
opposée. Anita possède un comportement plus homogène, elle
reste la même qu’elle soit dans la rue ou chez elle. Tout
est bien rangé dans sa chambre, qui est accueillante et personnalisée.
Au contraire, la trattoria est intérieurement mal tenue, entre
une prolifération d’outils et une vaisselle sale. La chambre
de Giovanna est banale et envahie de vêtements froissés. De
plus, son comportement change : elle se laisse aller
à la trattoria, et se montre fière et raide à l’extérieur.
En fait, désignant Anita comme prostituée et Giovanna comme
femme respectable, le film tente de déplacer l’opposition :
une prostituée peut mériter davantage de sympathie qu’une
femme « honnête ».
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