Mais l’exemple le plus frappant
est sans doute celui du rapport à l’argent qu’entretiennent
les deux femmes. Giovanna aime l’argent et le montre clairement :
elle dit tout de suite à Gino qu’elle a épousé Giuseppe pour
l’argent, elle contemple de façon possessive les objets précieux
que possédait son mari, elle exploite à fond le café, et elle
serre l’enveloppe dans laquelle se trouvent les 50 000 lires
payées au titre de l’assurance décès. Anita quant à elle ne
demande pas un sous à Gino et ne parle même pas d’argent.
Mais elle se retrouve à son tour le centre de symétrie du
rapport personnage/argent. En effet, autant Giovanna se montre
possessive, autant Spagnolo est désintéressé. A trois reprises
il paie à la place d’un autre. Anita se place donc au milieu
de ces deux tendances.
Gino est donc le pivot du
film, la plupart des séquences se développent autour de lui.
Cependant, Gino ne dit rien de lui-même, c’est grâce aux autres
protagonistes, qui lui posent des questions, que le spectateur
recueille quelques informations. Il n’a pas de passé, n’est
pas vraiment décidé à vivre une vie sans attaches où à vivre
avec une femme. De plus, la plupart de ses actes, y compris
le plus important, son crime, sont souvent élidés. De ce fait,
il n’acquiert pas à proprement parlé une personnalité sociale.
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Pour leur présentation,
Gino et Giovanna ont droit à un traitement relevant beaucoup
plus de la mise en scène. Giovanna est d’abord présenté par
sa voix : elle chante un air populaire. Puis le spectateur
voit ses jambes nues chaussées de mules, Gino, de dos, cachant
à la caméra le reste du corps. Puis elle est de face, se fait
les ongles, jette un regard devant elle, recommence à se faire
les ongles, puis regarde à nouveau fixement et longuement
l’homme qui lui fait face. C’est bien elle la vedette féminine.
Gino est présenté, visuellement, avant elle. De plus, il est
privilégié : un travelling lent très perceptible, un
arrêt insistant en gros plan le désignant avec évidence. Ce
gros plan dévoile aussi que celui-ci est sous le charme de
Giovanna. Le spectateur comprend rapidement que ces deux personnages
vont être amoureusement liés. La voix de Giovanna en est aussi
un indicateur car elle semble à deux reprises attirer fortement
Gino, comme l’hypnotiser. Ainsi, la mise en scène de Visconti
laisse supposer cette attirance réciproque dans la façon dont
il traite les personnages. Le mari, Giuseppe, est d’ailleurs
tout de suite séparé de ce duo, ne serait-ce que par sa présentation.
Il est photographié d’abord de loin, puis de près. On le découvre
peu à peu ; il se nomme, indique son métier, engage une
conversation professionnelle avec les camionneurs. En fait,
il n’est qu’un personnage de la fiction et se confond avec
le rôle de mari aubergiste que Visconti lui fait tenir. Par
la suite, Giuseppe sera habilement éloigné par sa propre femme,
qui, prétextant que Gino n’a pas payé son déjeuner va permettre
à celui-ci de réparer le camion du mari afin d’honorer sa
dette. En fait, cela lui permettra de se rapprocher de Giovanna,
en envoyant son rival chercher une pièce pour le camion. D’autre
part, Gino créera habilement une relation de confiance avec
le mari, en lui faisant remarquer qu’ils appartenaient au
même régiment. Cette complicité le lavera en quelque sorte
de tous soupçons aux yeux de Giuseppe.
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