Depuis Le Dernier combat, Serra compose
la musique de ses films. Ce qu’il est essentiel de noter,
c’est que cette musique ne pallie pas un manque. Elle a dès
le début sa place dans le film, avant même que la première
partition n’existe. A l’écriture du scénario, Besson sonde
déjà les possibilités. Il sait qu’à tel endroit, il y aura
telle sorte de musique. Celle-ci fait absolument partie des
ingrédients qu’il désire placer dans son œuvre. En ce sens,
elle ne remplace pas des dialogues ou des faiblesses de scénario.
Elle répond, à sa manière, à ce que l’œuvre, Léon,
impose d’amour et de violence.
Cela soulève directement
une question sur son existence personnelle. Le fait est que
la musique se met en réalité au service du film, et permet
d’une certaine façon de l’expliciter. En ce sens, elle n’a
pas été créée pour elle-même. Cela dit, la bande originale
de Léon trouve néanmoins son unité, sa propre histoire.
En fait, une relation de complémentarité et d’interdépendance
s’établit alors entre ces deux modes d’expression différents.
Autrement dit, en ce qui concerne les images et la musique,
Besson incarne les yeux, et Serra les oreilles. Et cette relation
contribue, en tant que solution, à aboutir à une relative
unité de l’œuvre.
L’œuvre de l’esprit, ou
ici l’acte de création, est indispensable à l’éclaircissement
et à la compréhension de l’œuvre achevée.
Les seize premières minutes
donnent l’impulsion nécessaire à la mise en place de l’unité
du film. Elles constituent la rampe de lancement du récit,
qui, une fois propulsé, ne redescendra pas avant d’avoir atteint
son objectif. C’est de la balistique avant l’heure...
Tout d’abord, il y a ce
prologue, dans lequel la caméra vole au-dessus de l’eau. Petit
clin d’œil, on est entre Le Grand bleu et Nikita. Mais déjà,
on se laisse volontiers glisser dans l’univers de Léon.
Le décor est rapidement planté : New York, 7e avenue. Puis,
on s’engouffre véritablement dans l’histoire par un mouvement
de caméra, une musique, une obscurité. Tous à leur propre
rythme, tous au même : celui du film.
Et, d’une obscurité à l’autre
- un fondu au noir -, on découvre quatre personnages. «Jamais
un protagoniste, même secondaire, n’est venu sur son écran
sans que le réalisateur ait organisé pour lui un véritable
rituel d’apparition, auquel concourent la préparation par
le scénario (arrivée annoncée ou effet de surprise), le cadrage,
la musique, le montage», comme l’a très justement écrit le
critique Jean-Michel Frodon. Ces composantes ne font jamais
pléonasme, elles sont simplement complémentaires.
Le premier contact s’établit
avec Léon. A priori, ou du moins humainement. Ce qui semble
logique vu le titre... Mais en réalité, c’est l’essence même
du film qui est condensée dans la toute première image de
l’intrigue. Deux mains, en gros plan. Elles sont l’outil de
travail de Léon et apparemment la seule chose digne d’intérêt
chez lui. Au milieu, un verre de lait, à l’image de la douceur,
de la pureté et de la féminité de Mathilda. La nappe est aux
couleurs de la mafia italienne, celle de Tony. Et le «fond»a
toute la noirceur de Stansfield, le diable de Léon. Quatre
éléments, quatre personnages : le ton est implicitement donné.
|