Maintenant que les présentations sont faites, il s’agit pour
Besson que ses personnages se rencontrent et évoluent. L’équation
est simple : quatre protagonistes, six couples possibles.
Et pour un récit qui se veut «géométrique et cellulaire»,
il n’y a rien de plus parfait. Léon, Tony, Mathilda et Stansfield
vont donc se croiser, se frôler, s’effleurer, pour finalement
s’affronter. Il y a d’ailleurs à cet effet un passage de transition,
qui ne soude le récit que davantage. Il s’agit du moment où
Mathilda, Stansfield et Léon se retrouvent dans le même couloir
- A noter que symboliquement, Stansfield est entre les deux,
et c’est lui qui les séparera à la fin. Quant à Tony, il joue
un rôle plus à l’écart, tout en resserrant l’action des autres
personnages, pour que le récit s’oriente vers une direction,
une convergence, et ne s’éparpille pas.
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Le premier couple formé
est d’ailleurs Léon / Tony. Les deux personnages fonctionnent
un peu de la même façon, en ce sens où ils présentent deux
facettes distinctes de leur personnalité. Léon est nettoyeur,
il ne sait faire que ça. Mais en même temps, c’est un être
très sensible et attachant. Tony reste sur la tranche pendant
tout le film, «on ne doit jamais savoir s’il est vraiment
bon ou véritablement dégueulasse». Cela dit, il évolue dans
le sens inverse de Léon, dévoilant son côté le plus cruel
à la fin. La relation est construite et sentimentale à la
fois. Elle est renforcée par la musique, aux sonorités italiennes
pour Tony, plus lourdes et graves pour Léon. Les dialogues,
oscillant entre l’humour, la tendresse et l’autorité, soudent
aussi les personnages. Ils inscrivent la relation dans des
rapports professionnels et paternels.
Puis, Mathilda débarque
chez Léon. Ils se sont déjà croisés, mais les besoins du scénario
vont les unir définitivement. Leur rencontre a d’ailleurs
été annoncée, par un montage alterné, dévoilant deux scènes
presque habituelles, quotidiennes : Léon fait ses abdominaux,
Mathilda se dispute avec sa demi-sœur. Puis, Léon s’arrête,
après que Mathilda ait dit : «Elle est morte ». Car c’est
bien de cette idée que part Besson, une idée quelque peu originale
: la rencontre de deux cadavres. Léon est mort en arrivant
à New York, récupéré par Tony et transformé en machine tueuse.
Quant à Mathilda, elle prétexte sa propre mort à la directrice
de l’école, pour justifier ses absences. Elle met l’autre
pied dans la tombe à la mort de son petit frère, seul être
vivant auquel elle tenait vraiment.
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Léon et Mathilda, ces deux
dépouilles, ont donc rendez-vous. Et là, ce n’est pas une
rencontre, c’est un électrochoc. De la mort naît la vie. Besson
livre ici un des moments les plus forts, un des moments les
plus beaux. La scène est limpide, superbe, quasi ensorcelante.
Elle joue à la fois le rôle de déclencheur, car le récit est
relancé, et celui de crise, car Léon a fait un choix.
En réalité, cinq éléments
fusionnent. La musique vibre comme jamais, rythmant le travelling
arrière de la caméra, braquée sur Mathilda. Un des hommes
de Stansfield laisse alors filtrer la seule information nécessaire
à la scène : « Willie Blood, t’as buté un gamin de quatre
ans, c’était utile ça ? «. Le spectateur le sait déjà, il
n’est que plus saisit par la réaction de Mathilda. Cette dernière
continue donc, jusqu’au bout du couloir, et sonne chez Léon.
Et pour finir, un montage alterné entre Mathilda en pleurs
et Léon interloqué, c’est infernal. Lumière blanche.
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