Annuaire boutique
Librairie Lis-Voir
PriceMinister
Amazon
Fnac

     

 

 

 

 

 
Objectif Cinéma (c) D.R.

La débauche technologique et la haute opinion que celle-ci a d’elle même s’incarne de manière édifiante dans la séquence d’ouverture qui ose une citation de la scène inaugurale de Vertigo. Une jeune femme, moulée dans un habit de latex noir, est poursuivie par ce qu’on croit d’abord être des agents du FBI et des flics en uniforme. Acculée sur un toit, au bord du gouffre, elle se décide à sauter jusqu’à l’immeuble lui faisant face. La chose paraît impossible tant le vide à franchir est immense, mais, contre toute attente, elle y parvient, suivie de près par l’agent du FBI. Seuls les policiers restent plantés sur le toit du premier bâtiment et s’exclament « that’s impossible !». Le simple flic, c’est le (simple) spectateur qui, devant tant de prouesses, n’en revient pas. Du moins les Wachowski le croient-ils.

On se souvient que dans Vertigo, James Stewart se raccrochait à la gouttière et causait la mort d’un policier qui tentait de l’aider. Stewart atteint de vertiges, la fiction pouvait commencer. Dans Matrix la technologie nous autorise à franchir les gouffres sans trop d’encombres mais nous laisse ignorants des vertiges. N’est-ce pas les gouffres qui justement, au cinéma, sont porteurs de fictions ? A cela, Matrix préfère nous asséner une suite de sauts technologiques. Fini la mort, fini l’amour, fini le vertige. C’est que depuis, le cinéma américain a hérité d’un nouveau paradigme, celui de l’hypertechnicité, d’autant plus redoutable qu’il est éminemment rationaliste et évacue toute idée de transcendance. Le trucage de Vertigo, obtenu par combinaison d’un zoom avant et d’un travelling arrière, avait, entre autres vertus, celle de rendre palpable la sensation de vertige. La technologie était au service du sens, non son substitut.

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Le cœur du problème est peut-être là : la vampirisation technologique sur toute idée de mise en scène. Bien souvent l’usage d’images spectaculaires cache – en partie – les défaillances du metteur en scène car celle-ci procurent sur nous un choc, dû à l’effet de sidération. Il en résulte un parasitage de la capacité d’observation (à plus forte raison si les conditions de projection sont irréprochables : son THX, écran géant, siège moelleux). Pourrait-on ausculter un tableau au Louvre si dans le même temps le musée est sous l’emprise d’un tremblement de terre (ce à quoi ressemble de plus en plus les films qui s’engagent dans l’ornière du tout technologique) ? Evidemment non. C’est plus souvent dans les scènes en creux, dans les temps « morts » de la fiction, que la médiocrité des réalisateurs se fait jour.

Dans le cas qui nous intéresse, une courte scène (Dieu est dans les détails !) pointe l’extrême faiblesse des images qui défilent devant nos yeux. Justement, il s’agit d’une scène lors de laquelle il devient évident que l’un des membres du groupe est un traître. Ce traître donc, dîne avec l’agent du FBI (l’envoyé de la matrice c’est lui) et, tout en discutant des modalités de sa récompense, ergote sur le steak qu’il s’apprête à avaler. Il regarde ce morceau de steak, qu’il sait être virtuel, et donne finalement l’explication de son acte : s’il trahit, c’est que la vie réelle ne l’autorise même pas à profiter de ces menus plaisirs. Il souhaite donc réintégrer la réalité virtuelle de la matrice (le monde de 1999) vierge de toute connaissance du réel, afin de vivre pleinement le plaisir des sens.