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  Objectif Cinéma (c) D.R.

Juste pour la forme "La portée de mes mots donne une émotion presque picturale". L'artiste isole  de lui-même, intuitivement, le rapport entre son univers et le monde de l'image. Ballet de formes, la musique de Saez s'avère hautement cinématographique et les interférences abondent autour de figures typiques de sa production. Si la peinture est lourdement convoquée, sa présence n'y est que référentielle, et ne s'affiche pas comme une composante essentielle. En revanche, de nombreux ponts formels et figures récurrentes lient l'univers saezien, dans sa chair, au cinéma. La première connexion qui se dégage est commune aux versants littéraire, musicologique, et pictural de ses chansons : les textes de Saez et leur agencement mettent en avant un jeu sur le raccord, a priori réservé aux morceaux à dominante sociale. Les lignes mélodiques sont, au choix, organisées ou désorganisées (selon qu'elles choisissent fluidité ou rupture) en syntagmes dont les entrées répétées utilisent le même mot. "Jeune et con" met en place un jeu interne sur le mot " encore ", qui non  seulement orchestre la ligne brisée du morceau, mais encore  décuple, par ses répétitions ostentatoires  et consciemment distillées, son impact sémantique: Il rend palpable l'aliénation. Le procédé est repris,  à plus grande échelle encore, dans "J'veux m'en aller". Ici, le premier couplet voit chaque vers débuter par le même mot : "encore". Le second oublie ce jeu de raccord appuyé, puis renoue in extremis avec lui pour échafauder une structure en boucle. Eriger cette figure au rang de signifiant récurrent est une pratique des arts " articulés ". Ici est le lien entre la musique de Saez et le cinéma. Dans l'élaboration d'une image, sur la durée... Il y a en outre chez notre poète une utilisation très courante de la fracture. Ces breaks musicaux, internes aux chansons ou simples interludes mais toujours pauses voluptueuses, sont souvent prétextes à d'aériennes envolées lyriques où le souffle de son univers disloque la réalité. Lors de ces parenthèses débridées, Saez joue de sa voix sur tous les tons que lui accorde sa tessiture (et ils sont nombreux...). La musique se fait moins palpable, comme venue d'outre-tombe.

Hallelujah , qui trouve le paroxysme de ces transports hallucinatoires, donne la clé : " on plane sur un air d'amour ". Ce vers à double-sens contient en germe le fluide qui régit l'univers saezien. L'invitation au voyage... L'air n'est pas seulement musical, mais aussi souffle porteur, véhicule astral. On retrouve l'ailleurs onirique de l'artiste flottant au gré d'une vague faculté d'apesanteur, insouciance qui soulage le torturé terrien. Petit Prince, Montée là-haut, Crépuscule et Hallelujah présentent ces caractéristiques. Explicitement figuratives et donc cinématographiques, les visions créées par ces transports cristallisent les hallucinations stupéfiantes de leur créateur, peintre et poète. Les paradis artificiels ou l'enivrante spirale de la déconnexion. Ces breaks ne sont pas pour autant uniquement picturaux et jamais signifiants. Au contraire, ils préparent toujours une reprise qui n'en est que plus forte. Déréalisés et hypnotiques, ils sont même une source d'informations cryptées. Les sons électroniques côtoient des voix synthétiquement déformées qui reprennent des bribes de vers ou exhalent de lointains murmures et chuchotements mystiques. Incarnant, matérialisant la perception pervertie d'une oreille opiomane. Intention de l'auteur ou fantasme de l'auditeur, on croit entendre dans le break de Montée là-haut une précieuse combinaison. " Amandine, you have touch me ". Voix robotisée, déformée, saturée, utilisation de l'anglais, Saez donnerait à qui sait l'entendre la clé d'un texte dont l'énonciation élude pudiquement son destinataire. A qui croit l'entendre.