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Du paradis artificiel nous sommes brusquement bannis, lorsque sa nature fausse est dévoilée. La féerie laisse place à un spleen tout baudelairien, âpre et âcre, qui contraste fort avec le précédent univers. Scénario de dévoilement basé sur le signifiant ultime. A l'opposé se trouve "Rock'n roll star". Le morceau obéit pourtant à un schéma tout aussi scénarisé, fictionnel, qui crée et manipule un personnage. Ducon, patronyme symbolique et généralisant, drague une fille (" Salut poupée comment tu vas? "). Raconte sa vie et aligne les clichés risibles jusqu'au dernier vers, signifiant ultime, qui concrétise la situation ("Attends-moi aux toilettes, j'arrive"). Contrairement à ses autres morceaux, Saez inscrit celui-ci dans un lieu [une boîte ou quelque chose comme ça...] et dans la durée [entre l'intro-rencontre et la chute] et fait de ce moment un monologue distancié. En nommant son personnage, il désamorce son texte et l'aiguille vers la parodie.

Objectif Cinéma (c) D.R.
Scénario de comédie. Le cas d'"Amandine II" est similaire quoique plus complexe. C'est ici la musique qui dément le texte. Les mots décrivent sa dépression lorsque les notes valsent vigoureusement. C'est qu'Amandine II représente un moment de la dépression : celui de l'énergie du désespoir. Cet instant délicieux où l'amoureux au cœur déchiré perd la conscience et retrouve le sourire dans l'aliénation.

"Et ce putain de monde peut bien cramer
Et les drogues peuvent bien me faire planer
Jamais je ne crèverai sans toi
Jamais je ne crèverai sans toi..."

Ces derniers vers à la diction appuyée, à la chute répétée, cristallisent un inconscient et jubilatoire sermon de fidélité aux fantômes. La distanciation est alors bien plus forte que pour "Rock'n roll star" : c'est un déplacement de l'état des lieux à l'état d'âme, dans un même corps musical. Toute cette volonté de scénariser, de travailler sa création, Saez la décuple lorsqu'il s'agit de se donner en spectacle. Le concert a sa propre histoire, entre préparation et improvisation. On l'a vu feindre trois fois consécutives un salut final, juste pour mieux revenir. On peut lire sur ses vêtements "j'veux qu'on baise sur ma tombe", y voir un majeur dressé ou encore un hommage à sa mère. Sa scène est décorée de sa propre mythologie : cierges et anges... Saez aime dérouter son public en inversant des couplets, des vers, en changeant des mots. Il ajoute encore des introductions, reprend des classiques, crache, sue, invective... Ce jeu de scène corporel et artistique est simplement le folklore du poète devenu animal en live. Histoire de scénariser chacune de ses apparitions.

Une griffe auteuriste

  Objectif Cinéma (c) D.R.

Saez, de toute évidence, se distingue des autres chanteurs parce qu'il n'écrit pas seulement des textes, mais crée un univers. Ce n'est pas un simple technicien de l'écriture, mais encore un poète torturé dépositaire d'une galerie d'images et de sons provenant de son âme. Infiniment plus proche de Baudelaire que d'Obispo (il a d'ailleurs mis en musique un somptueux texte extrait des Fleurs du Mal: "Delphine et Hippolyte". Et rien d'Obispo...). Il se met en jeu et devient à proprement parler un auteur. C’est-à-dire celui qui construit une oeuvre dont chaque opus est lié à son univers, dont chaque livraison témoigne des mêmes obsessions abordées différemment... La griffe Saez, déjà largement aiguisée, se pare de richesses supplémentaires lorsque l'on considère le rapport que l'artiste entretient au temps. On notait plus haut des jeux de raccord sur le mot "encore " dans deux chansons.