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  Eyes Wide Shut (c) D.R.
Parce que dès le départ, Kubrick impose à Bill un autre destin, et l’envoi explorer d'autres sentiments. Les premières images du film ne laissent aucun doute : Alice en se déshabillant fait apparaître le corps du délit, tandis que Bill, en ne regardant plus sa femme et en jetant un œil par la fenêtre, est déjà confronté à la rue, l'endroit de toutes les rencontres et donc de tous les possibles. Bill est donc déjà embourbé dans la fatalité, sans le savoir. Il a beau coupé la musique, que l'on croyait extra-diégétique, au tout début du film, elle le rattrape lorsqu'il arrive à son cabinet pour y ausculter des corps avec froideur et professionnalisme. Comme s'il croyait tout maîtriser, alors qu'en coulisses, son histoire a déjà commencé sans qu'il sen aperçoive vraiment. Et finalement, à aucun moment il n'est maître du jeu. Bill est pris au milieu d'un étrange étau, qui peu à peu se resserre sur lui : il déclenche indirectement la crise, a tout pour la résoudre (en tant qu'homme et que médecin) et pourtant n'y parvient pas.

Bill est parti à la découverte du corps, et plus précisément à la découverte de l'intérieur du corps, faisant abstraction de ce que l'enveloppe corporelle de ses patient(e)s renvoie et peut éventuellement stimuler en lui. Et c'est bien ce qu'Alice trouve étrange, c'est bien à partir de ce point de départ qu'elle le fait basculer dans l'inconnu. On se situe ici uniquement du point de vue de Bill, qui se rend compte seulement maintenant qu'il va découvrir autre chose. En tant que médecin, Bill a un rapport au corps qui est particulier, et c'est un sujet sur lequel Alice revient avant son aveu. Ainsi, au moment de la confession, Bill est attaqué en tant qu'homme et que médecin, dans sa vie privée et professionnelle. Les corps des deux mannequins le laissent indifférent, de même que celui de ses patientes car c’est son métier d'envisager les consultations comme impersonnelles. Mais Alice semble ne pas comprendre, elle qui est tournée vers l'art, en tant qu'ancienne propriétaire d'une galerie, et qui sans doute envisage le corps comme sublimé, source de fantasmes ou œuvre d'art . Ainsi, tandis que pour Bill le corps se rattache uniquement à la chair et à sa profession, il est pour Alice lignes, contours et séduction.

Eyes Wide Shut (c) D.R.

D'autre part, le seul moment où Bill exerce vraiment son métier, c’est avec Mandy, la fille droguée chez Ziegler et ensuite à son cabinet, c'est-à-dire au tout début du film. C'est de cette façon que Bill renseigne le spectateur sur son " connu ". Ensuite, il refuse les rendez-vous, préférant les laisser à son collègue. Il est le médecin du père décédé de Marion, celui du propriétaire de la boutique de déguisements, qui n'habite plus là. Mais déjà, après l'aveu d’Alice, il n'exerce plus son métier, il est médecin et se sert de son statut tout simplement. Il n'a qu'à brandir sa carte qui devient alors son laissez-passer. Et dès lors que son métier passe au second plan, les corps qu'il rencontre prennent une autre dimension. Alice s'imaginait que Bill fantasmait sur les corps qu'il rencontrait, et c'est chose faite à présent, à cause de son aveu.

Le connu de Bill n'existe que par le spectateur. C'est lui qui le reconstitue, pourtant grâce aux indications de Bill et de Kubrick. Mais dès lors que Bill se justifie de ce " connu ", il se situe exactement à côté.


L’INCONNU

D'où la problématique de l'identité, car ce qui se trouve à côté, c'est précisément l'inconnu. A commencer par cet officier dont il ne se souvient pas. Cet inconnu sur lequel a fantasmé Alice et dont elle se sert pour l'attaquer et ne lui laisser que peu de chances de survie.

Mais les inconnus étaient en fait présents dès le début du film, représentés par ces personnages qui ne sont là qu'en tant que figure du désir : le Hongrois et les mannequins à la fête de Ziegler. Ils donnent par ailleurs l'atmosphère du film, à savoir celle du fantasme et du non-accomplissement. Notons que si le fantasme peut s'appliquer à Bill et à Alice, le non-accomplissement ne se révèle déjà pas de la même façon : Alice repousse les avances du Hongrois, mais pour Bill, c'est un personnage qui intervient et l'empêche d'aller plus loin.