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  Eyes Wide Shut (c) D.R.
Cette scène témoigne par ailleurs dun événement narratif qui se répétera plusieurs fois au cours du film. En effet, elle raconte à elle seule une micro histoire, dans laquelle Kubrick emmène ses personnages, et Bill en particulier, là où leur histoire peut basculer. Et cette possibilité renferme uniquement le doute et la peur, plus que toute réelle occasion, qui pour Bill ne se réalisera jamais. Citons encore comme exemple la scène de l'aveu ou celle de la fête au château. C'est dans cette scène que Bill est confronté à l'inconnu de la façon la plus significative : il ignore le lieu de la fête, le second mot de passe, l'identité des participants et des prostituées. Par ailleurs, il est intéressant de noter que Bill participe à deux fêtes, il est donc confronté deux fois à un lieu dans lequel l'identité peut changer. Ces circonstances vont mettre Bill en face de ce qu'il na pas encore éprouvé. Pour lui, il s'agit maintenant d'envisager les corps autrement que de manière médicale, de changer d'état d'esprit pour faire face à de nouveaux sentiments comme l'adultère, la jalousie ou le mensonge.

Ainsi le fantasme d'Alice correspond-il à l'errance de Bill, et le rêve que fera la jeune femme plus tard à la réalité, observée mais non éprouvée, cérébrale mais non physique, de son mari, à savoir l'orgie. Le désir semble plus important pour Kubrick que l'acte lui-même, car curieusement, il n'y a pas de correspondance entre le fantasme, le désir et l'acte puisque si les désirs viennent d'Alice, Bill ne va jamais au bout. L'aveu d'Alice ne fait donc pas tout basculer. Car tandis que pour elle il n'y aura que le fantasme avec l'officier, pour Bill il y aura toujours plusieurs possibilités sans qu'il prenne jamais la décision d'en explorer aucune. Il n'a tout simplement pas à choisir puisqu'un personnage le fait systématiquement pour lui : Mandy frôle l'overdose dans la chambre de Ziegler et empêche Bill de poursuivre avec les deux mannequins, l'ami de Marion arrive au moment où la situation aurait pu dégénérer entre elle et Bill, Alice téléphone quand Bill est chez Domino et qu'ils s’apprêtent à passer à l'acte, la prostituée se sacrifie pour lui au cours de la fête au château et l'empêche donc de participer, et enfin, Sally lui annonce la séropositivité de Domino et calme donc les ardeurs de Bill envers elle.

Eyes Wide Shut (c) D.R.

La mort est très présente dans ces scènes et rejoint d'une certaine façon la thématique de l'inconnu. En tant que médecin, Bill fait son possible pour que ses patients restent en vie, comme par exemple avec Mandy. Ce n'est pas un hasard si la seule patiente qu'il sauve intervient au début du film, là où tout est encore possible, mais où pourtant il n'y a déjà plus qu'un seul destin pour Bill. Car dès lors, il n’y a plus d'échappatoire pour lui : les personnages qu'il rencontre sont soit morts soit en passe de le devenir, et c'est là tout le paradoxe du nouvel univers de Bill. Alors que, depuis l'aveu d’Alice, les corps deviennent d'autant plus vivants pour lui, il côtoie pourtant davantage de cadavres. Paradoxe d'autant plus intéressant par rapport à la perte d'identité de Bill : au moment de l'aveu d’Alice, le voilà projeté vers les désirs et les fantasmes, mais aussi vers la mort, qui représente elle-même la perte d'identité.

Une scène réussit à cristalliser tout cela, il s'agit de celle de la morgue Bill entre dans la morgue grâce à sa carte de médecin, soit tout ce qui lui reste de son identité. De plus, il reconnaît la prostituée non pas grâce à son visage, qu'il découvre au moment même, mais grâce à son corps, celui du désir et du fantasme. Et c'est là que l'impossible se produit : le visage de la prostituée exprime tout à coup une sorte de chaleur humaine, dont la jeune femme était totalement dépourvue derrière son masque. Privée de son identité en vie, elle ne devient humaine que dans la mort. Et si les masques de tous les participants à la fête du château constituent une perte volontaire d'identité c'est d'ailleurs ce que Bill oublie de rendre au costumier et ce qu'il retrouve sur son oreiller en signe d'aveu à faire à Alice -, ils retranscrivent des émotions du fait qu'ils soient expressifs. Mais jamais autant qu'un visage humain.