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Pleins feux sur l’assassin et Les yeux sans visage de Georges Franju, fonctionnent véritablement sur cette dialectique de l’apparition / disparition. Avec l’incertitude comme premier ingrédient. Dans Pleins feux sur l’assassin, le doute est absent de l’esprit des personnages principaux mais pas du nôtre. Le comte de Kérauden est-il vraiment mort ? On ne se poserait pas cette lancinante question si Franju n’avait semé ce plan énigmatique où l’on voit le comte de dos, en amorce droite, semblant observer les agitations de ces descendants derrière une glace sans tain. Ce plan est étrange par son cadre (mettant en scène le point de vue du comte) et la diminution de l’intensité sonore. Après les morts mystérieuses qui vont constituer le principal ressort narratif du film, les héritiers survivants vont se poser des questions et considérer comme possible la survie du vieillard. Le doute est à son apogée quand une voix étrange interpelle la veuve d’un disparu, que l’on entend des pas dans les salles du château sans pour autant identifier qui que ce soit et que des boîtes de conserve disparaissent par enchantement. Le mystère se résoudra de lui-même par plusieurs explications rationnelles et le doute s’évanouira définitivement : la voix était celle du meurtrier, identifié à la fin comme l’un des héritiers principaux, les pas et le vol de conserves s’expliquant par les apparitions ludiques de l’écervelée petite amie d’un autre héritier. Le doute a pourtant prévalu un moment, et le mouvement longtemps inexpliqué du fauteuil à bascule du vieux comte permettait d’admettre la présence irrationnelle du personnage hantant son vieux manoir comme bon lui semble. Le doute crée dans notre esprit la figure du fantôme.

  Objectif Cinéma (c) D.R.
Dans Les yeux sans visage, Christiane Génessier est morte pour tout le monde sauf pour son père et ses proches... et pour le spectateur. Supportant mal cette mise à l’écart du monde et cette sensation malsaine d’être réellement morte (cf. notamment le faire-part de décès à son nom), elle tente à deux reprises d’appeler son fiancé par le téléphone, mais ne lui parle pas, soit par timidité, soit par manque de temps (elle est surprise par Louise, sa gardienne, l’assistante de son père). Elle sème quand même suffisamment de doute dans la tête de Jacques pour que celui-ci se décide à enquêter. Là-encore, le doute se nourrit d’une « preuve » sonore. Mais surtout, la création de ce doute place Christiane dans une situation de morte-vivante : elle est véritablement un fantôme. Son physique diaphane, son mystérieux masque blanchâtre, sa démarche, sa voix claire créent cette impression d’un personnage aussi réel que rêvé. Les plans fixes employés par Franju lors des scènes finales, qu’Edith Scob traverse d’une manière somnambulique, avec les entrées et sorties de champ du personnage, transfigurent la réalité. Christiane traverse l’écran de gauche à droite comme si elle traversait le miroir, comme si elle était dans « un entre-deux mondes. »

Une autre séquence du même film exprime cette idée : Louise, la fidèle assistante de Génessier, a pour mission d’enlever une jeune fille pour une prochaine opération du Professeur. Elle propose à une étudiante en quête d’une chambre à louer, de la conduire en voiture visiter une chambre dont « les propriétaires sont des amis ». Louise répond aux premières interrogations de la jeune fille sur un air mystérieux : « C’est un très joli quartier... vous verrez, c’est plein d’arbres ». L’imprécision géographique de Louise accentue le mystère et fait frémir le spectateur qui sait désormais pourquoi cette jeune fille intéresse tant la redoutable femme. L’endroit « plein d’arbres », c’est évidemment le parc entourant la maison de Génessier, mais ce peut être aussi, une certaine image du paradis, d’un au-delà que la jeune fille va connaître quelques heures plus tard, en se suicidant après l’opération.