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  eXistenZ (c) D.R.

L'association de la réalité virtuelle avec la maladie mentale est logique car la première interroge de façon vertigineuse notre rapport avec la réalité. Or, on le sait : le "fou" n'est pas dans la réalité. A moins que, comme tentait de le prouver le courant antipsychiatrique des années 60, chacun ait sa propre réalité. Une théorie à laquelle David Cronenberg n'est, semble-t-il, pas opposé.

Descartes décrit notre rapport au réel de la façon suivante : Nous avons 2 formes de conscience. La première est une conscience externe tournée vers le monde sensible (et qui apporte un jugement empirique); la seconde est la conscience de soi qui réfléchit. Autrement dit la conscience de l'objet et la conscience d'être un objet. Il parvient à cette conclusion par sa célèbre théorie : Je doute donc je pense donc je suis.

Cet axiome pourrait servir de sous-titre au dernier film de David Cronenberg, eXistenZ. Cette oeuvre passionnante synthétise de nombreuses obsessions du cinéaste et en particulier sa conception d'une réalité plurielle.

La réalité est un concept très relatif. Il y a d'abord la réalité officielle, celle que notre culture nous a légué en donnant un sens précis au réel. Et puis, on commence à s'apercevoir que cette réalité officielle n'est qu'une réalité parmi tant d'autres. Il suffit de voyager et de se retrouver au contact d'une autre culture pour s'en rendre compte. Ainsi parle le réalisateur de Videodrome.

Le jeu sur les différentes réalités, Cronenberg le pratique en premier lieu par sa mise en scène. Celle-ci est parsemée de métaphores sous un aspect limpide. Le cinéaste qui avoue avoir un mode de réalisation littéraire, excelle dans le fait d'utiliser des images pour leur faire dire autre chose.

Le Festin nu (c) D.R.

Par ailleurs, ce thème est récurrent dans plusieurs de ses films. Cronenberg est devenu célèbre comme étant le cinéaste de la métamorphose. De Shivers à The fly, il exprime sa fascination pour les mutations corporelles, la télépathie ou les sexualités déviantes qui prennent une dimension autre qu'humaine. Car, pour le réalisateur canadien (et il retrouve ici Descartes) le corps est le lieu de passage obligé des différentes réalités. Selon lui, dans le meilleurs des cas, il ne devrait pas y avoir de hiatus entre l'âme et le corps. A ce titre, on peut noter qu'il se définit facilement comme un chercheur dans un laboratoire pour qui chaque film serait une expérience.

Ainsi, ses œuvres les plus récentes explorent plusieurs manières de remodeler le réel. William Burroughs, auteur de The naked lunch déclare qu'il n'y a pas de réalité vraie ou réelle. Dans l'adaptation de ce roman culte, Cronenberg n'a pas trahi ce principe. Ce film est composé d'hallucinations dues à l'absorption de drogues ou à un délire créatif des personnages. Or, le tour de force est que progressivement, cet irréel subjectif devient objectif.

M. Butterfly poursuit la démarche en suivant la destinée d'un homme amoureux d'un autre homme qu'il prend pour une femme. Le cinéaste illustre, ici, un déni de réalité, ce que Freud définissait comme le refus par le sujet de reconnaître une perception traumatisante.

Cronenberg fait se croiser deux de ses thèmes fétiches : les nouvelles réalités et l'asservissement aux images. Ces concepts s'étaient déjà croisés dans Videodrome où le professeur O'blivion, créateur d'un casque à hallucinations, déclarait : la réalité hallucinatoire deviendra la seule réalité.

Presque 15 ans séparent Vidéodrome de eXistenZ. Pourtant, les deux films sont étonnamment complémentaires, le second nous faisant vivre ce que théorisait le premier.

En effet, eXistenZ est autant un film-jeu qu'un film sur le jeu (ce que n'ont peut-être pas compris ses détracteurs). Vaguement inspiré par l'affaire Rushdie, il suit les aventures d'une conceptrice de jeux virtuels révolutionnaires poursuivie à la fois par une multinationale et par des fanatiques du réel. Logiquement, chaque événement prendra un double sens lorsque les personnages devront pénétrer dans le jeu.