Mais Pierre pose le décor
avant que les animaux ne le jonche : en élevant ses bras vers
le ciel, il trace la naissance d'un arbre, déjà matérialisé
par une forme transparente composée de racines. Il décide
du décor, fait naître une grande flaque d'eau après avoir
pointé son doigt à son emplacement, à sa source. Pierre formate
le décor par ses gestes d'architecte, régule la teneur des
éléments au sein du lieu et délivre ainsi le champ d'action
des IS, qui s'emparent doucement du lieu. Aussi, l'oiseau
en IS (semblable à une comète bleue) touche le sol et laisse
place à l'emprise des couleurs, comme une rougeur s'empare
d'une peau. Un désert multicolore (fauve) exhibant une surface
clairement visible : l'informe devient ainsi à l’œil nu paysage,
par l'IS.
Les images de synthèse
semblent ainsi être souvent réalisées sous nos yeux. L'avancée
du loup dans la forêt s'établit parallèlement à sa progression
en IS. Autre naissance d'une forme en construction, non pas
une forme picturale mais graphique, ce passage de l'animation
de l'IS à son stade terminal emprunte au stade progressif
de story-boarding. Il se produit une métaphore du passage
animé des images, l'avancée de l'animal entre les broussailles
s'incarnant par strates successives verticales et par croquis
d'ordinateur de hautes herbes en noir et blanc. Outre la splendeur
de la séquence fonctionnant par la méthode infrarouge (par
où passe le loup, l'IS propose la transparence, les feuilles
mêmes transparaissent), plus le loup avance, plus l'IS gagne
en précision. Le loup devient doublement fauve, par ses mouvements
ondoyants ou brusques et les différentes couches de couleur
irisées qui rendent plausible la créature - tout de rouge
et de vert marbrés -, alliage hybride d'un perfectionnement
(en direct) de l'IS et de teintes picturales.
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Dans les deux films, pénétrer
au-delà signifie se rendre dans l'image de synthèse, soit
dans le tableau. Dans "Au-delà de nos rêves", il
faut entrer dans la fresque surnaturelle, voyager dans les
matte-painting où se sont projetés et incrustés des
motifs picturaux qui réuniraient les esprits amoureux au-delà
de la mort. Ce qui prime dans le matte-painting n'est
plus la reproduction de la nature même, mais l'enjeu
de retrouvailles au sein du récit même : la fresque devient
point nodal entre la femme et le mari défunt. Elle fait survivre
au-delà du réel et de la mort, la croyance amoureuse.
Traduction du passage, mis
en abyme à l’œil nu, du stade graphique et pictural à l'IS
: Vincent Ward exhibe en fondu enchaîné le passage de la fresque
à la fresque en IS (une fresque digitalisée en termes numériques).
Le procédé du cache-contrecache s'évanouit dans le fondu enchaîné.
Pour donner vie au tableau et mettre fin à son obscurité,
l'équipe du film travaille peu après sur la radiosité, par
la forte présence du soleil dans l'image et sa réflexion diffuse
par rayons réalistes, avec l'usage du ray-tracing.
La masse du corps humain peut même se confondre à la masse
simulée d'éléments « naturels » : Chris se retrouve jusqu'au
cou dans la boue de couleurs vives (cf. photo) : la multiplication
de couches d'incrustations d'images (de fleurs colorées) perfectionne
ici le procédé de cache- contre-cache. L'IS sert donc d'expérimentation
d'une fresque vivante et de la nature initialement représentée.
La définition de la fresque est détournée : il s'agit dès
lors d'une simulation de fresque, peinture murale exécutée
naturellement à l'aide de pigments d'origine minérale, appliqués
avec des brosses de différentes sortes. Continuité de ladite
définition : les scènes du film prolongent l'usage de pigments
détrempés à l'eau (fonction de la fleur bleue) ou de terres
argileuses et de matières silicates (la scène de l'oiseau).
L'IS ne reproduit donc plus de nature préexistante mais s'attache
à produire un prolongement ou une inversion de sens du mot
fresque.
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