Le film s'ouvre et se clôt sur
la même musique de Strauss : Also Sprach Zarathustra.
Ce que nous dit Zarathoustra justement, c'est une notion qui
va au-delà du simple homme et surtout qui encercle
le film. Kubrick s'approprie un thème et l'interprète
à travers les images de l'espace constellé d'étoiles
et de planètes pour en faire un thème infiniment
circulaire. La musique n'est jamais dépassée
par les images, les images ne le sont pas non plus par la
musique : l'essence de chacun de ces deux éléments
va circuler et se nourrir l'un l'autre sans jamais se heurter.
Au delà de l'esthétisme purement formel de la
beauté et de la béance de l'espace, la musique
s'inscrit entièrement dans ce contexte qu'est le cercle.
Savoir filmer la musique c'est aussi l'entendre, lorsqu'un
flot inquiétant de sonorités emplit nos oreilles
avant l'ouverture du film, et avant l'ouverture de la deuxième
partie. C'est un thème fantastique et angoissant qui
présage un chaos qui n'aura jamais lieu, puisque sans
cesse on tourne en rond.
Quand Kubrick utilise le Beau Danube Bleu de Strauss,
quoi de plus circulaire qu'une valse, autour de laquelle se
meuvent les appareils de l'espace.
SAVOIR FILMER UN VAISSEAU SPATIAL
Dans un ballet circulaire, sur Le
beau Danube Bleu, les vaisseaux spatiaux dansent au
rythme lancinant et enivrant de la vie. L’œil n'est plus
un organe, une planète ou une succession de sons,
c'est maintenant un artifice mécanique conçu
et construit par l'homme. Deux figures apparaissent alors
: le cercle en deux dimensions et la sphère pleine
en trois dimensions surmonté d'un objet phallique.
Cette sphère, avant (ou après) d'être
un sexe érigé qui fend le vide de l'espace,
est ce prolongement du système nerveux humain (le
nerf optique) qui transmet les informations au cerveau.
C'est le gros œil qui scrute et analyse le moindre mouvement,
la moindre parcelle de son et d'espace.
A cela s'ajoutent les petites capsules munies de bras qui
permettent des petits déplacements dans cet espace
: ils sont la métaphore du réalisateur, construire
ou réparer un monde par le pouvoir des yeux (beaucoup
plus subtil que Superman lui-même).Cette surveillance
extrême va jusqu'à l'intérieur du vaisseau
: Hal 9000 est avant tout cet objectif rouge qui scrute
sans un mouvement organique ni mécanique, les moindres
faits et gestes de ses occupants, et qui a le pouvoir de
tout contrôler, même la vie. C'est une mécanique
implacable à laquelle on ne peut pas grand chose,
sinon le débrancher : c'est ce corps humain dont
les fonctions vitales s'activent toutes seules : la respiration,
le cœur, le système digestif, qui parfois panique
parce que la vie prime sur la mort. Même quand l'ordinateur
est débranché, quelque chose fonctionne. toujours.
L’œil mécanique est présent jusque dans les
moindres détails : par exemple, l'appareil photo,
témoin d'une conférence et souvenir comique
d'un passage humain sur la lune devant le monolithe. On
se retrouve donc avec trois yeux mécaniques : le
gros œil tout puissant (la caméra), les petits yeux
architectes (le réalisateur), l’œil de surveillance
(Dieu) et l’œil neutre (le directeur de la photographie).