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UN UNIVERS CINEMATOGRAPHIQUE DE LA REPRESENTATION

  O brother, where art thou ? (c) D.R.

O' Brother… se présente de façon ambitieuse comme une retranscription de L'Odyssée de Homère et, sur un mode beaucoup plus plaisant, comme une sorte de parodie de certains styles de cinémas américains hollywoodiens, à commencer par les road-movies. Il appartient à ce type de films qui mélangent plusieurs genres et qui sont, de ce point de vue, apparemment, "impurs", dans le sens où, justement, on peut les prendre de différents côtés.

C'est un film composite, on y trouve des références à beaucoup de choses, et d'abord à Homère, qui est d'ailleurs présenté dans le film sous l'aspect du noir aveugle sur sa draisine, puisque tout le monde sait de façon certaine qu'Homère était aveugle. On trouve beaucoup de citations à L'Odyssée ailleurs dans le film, c'est un film à citations, comme l'ensemble du cinéma américain depuis trente ans : c'est un cinéma qui n'est plus dans l'innocence et qui sait qu'il y a eu avant un autre cinéma, le grand cinéma classique. Depuis les alentours de 1970, tout le cinéma hollywoodien des grands cinéastes travaille sur ce qui s'est déjà fait avant, la référence est obligatoire. Par exemple, au début de ce film, le personnage d'Ulysse est habillé de telle façon que, si l'on connaît l'histoire du cinéma et les films des grands cinéastes américains, on est obligé de penser au film de John Ford, "Les Raisins de la Colère" : très volontairement, ils le font ressembler à Henry Fonda dans "Les Raisins de la Colère" puisque, c'est logique, le film se passe a priori à la même époque et le film de Ford était lui-même aussi un road-movie.

O brother, where art thou ? (c) D.R.

Aujourd’hui, on ne peut plus " représenter ", on " re-présente ", c’est-à-dire que c’est une présentation de quelque chose qui a déjà existé, en référence à des images qui ont été déjà vues et qui sont restées dans l’esprit du spectateur : on ne voit pas un film tel qu’il est, mais on voit un film avec les images que l’on reconnaît dedans. Il y a une culture qui est sous-tendue dans le système de représentation, étant entendu en revanche que le spectateur n’a pas à connaître cette culture : le spectateur peut être complètement ignare, mais cela n’empêchera pas le jeu de se mettre en place, du fait que le deuxième degré ou la re-présentation l’emporte sur le présentation. La notion de re-présentation est une chose qui devient de plus en plus forte : le cinéma est une invention scientifique qui permettait de connaître le mouvement (cinématographe, c’est-à-dire l’écriture du mouvement) tout en " inventant " la vie. Une vie illusoire, mais pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, on re-présentait la vie en train de se dérouler, par opposition à avant où l’on était dans la pensée de la vie. D’où l’idée qui a perduré selon laquelle si une chose avait été photographiée ou filmée, elle était vraie, et cela perdure encore dans les informations.


CLASSICISME ET MANIERISME : LA FIN DU REVE AMERICAIN

Ce travail sur des références très précises, sur quelque chose qui a préexisté et que le spectateur américain connaît, consciemment ou inconsciemment, les frères Coen en jouent pour en dire quelque chose et non pas simplement pour dire "Voyez comme je connais mon cinéma". Ils en jouent pour montrer comment regarder une époque ancienne, non pas simplement pour l'observer mais pour parler d'aujourd'hui par cette époque interposée. Le film est construit de cette façon, par des références constantes et, même si le terme est un peu prétentieux, par une distanciation nécessaire qui évoque le maniérisme et le baroque, puisque ces deux courants sont la conséquence de la fin d'un classicisme. Une fois qu'un classicisme a atteint son apogée, il y a ensuite un autre mouvement qui le remplace et qui inverse le classicisme pour en retravailler ses formes et son sens. Tous les arts fonctionnent ainsi, et le cinéma n'y échappe pas, nous sommes actuellement dans la période maniériste, au niveau mondial, parce qu'il y a une évolution profonde de l'histoire humaine, des sociétés humaines, et qu'aujourd'hui, plus rien dans les sociétés ne permet de faire du classicisme puisque pour faire du classicisme, il faut avoir des certitudes de valeur.