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  O brother, where art thou ? (c) D.R.
Les cinéastes américains, que ce soit Coppola, De Palma, les frères Coen, Burton et bien d'autres, et même quelquefois Eastwood, le plus classique de tous, savent qu'il y a eu en effet les années 60-70, et qu'à ce moment-là le grand rêve américain auquel tous les Américains ont cru depuis leur petite enfance a été brisé. Ce film-là, comme bien d'autres, est un film qui sait qu'il y a eu la guerre du Viêt-nam, et la crise morale de cette guerre est sur l'écran. En d'autres termes, c'est un film qui joue apparemment l'innocence de cette époque-là et qui va jouer sur la croyance. Ils font semblant de croire à la croyance, quoiqu'il y ait d'autres éléments qui s'interposent, à commencer par la croyance religieuse.


DE L’ODYSSEE A LA BANDE DESSINEE : DES PERSONNAGES DE L’INNOCENCE

Ce rêve américain, sa notion de réussite et de progrès, a de quoi faire sourire, par exemple quand un personnage disserte sur l'arrivée de l'électricité, le développement du Sud, les superstitions vont s'évanouir, etc. : ce beau rêve 1930, évidemment revu et corrigé par ce qui se passe aujourd'hui, crée une certaine distance appelée sous une forme d'humour à mettre en question nos propres certitudes. Tous les personnages sont très intéressants de ce point de vue, car ils sont travaillés par de nombreuses références. Il y a d'autres références qui interviennent dans le film, à commencer par celle de la Bande Dessinée, mais après tout, L'Odyssée était aussi de la Bande Dessinée, simplement on ne la dessinait pas, on l'écrivait et on la chantait : ce sont des histoires merveilleuses, des histoires pour enfants, où les aventures se succèdent les unes aux autres, suivant le modèle du conte et du poème de l'époque. Essayer d'adapter fidèlement L'Odyssée aujourd'hui serait impossible : Ulysse, même s'il est à la fois beaucoup plus intelligent et plus sceptique que les autres, est malgré tout immensément naïf : quand il rencontre le Cyclope et qu'il reste bouche bée d'admiration avant de recevoir un coup, on peut se dire qu'il aurait pu se méfier un petit peu plus. Ils ont beau être des forçats, ce sont encore des innocents.


LES CHANTS DE L’AMERIQUE PROFONDE

O brother, where art thou ? (c) D.R.

D'autre part, la dépression, ou en tous cas le chômage aujourd'hui, provoque une misère aux Etats-Unis qui peut permettre les correspondances : après tout, et ce n'est pas innocent ni gratuit, aux Etats-Unis aujourd'hui, on a réenchaîné les forçats ou les prisonniers, les chaînes d'aujourd'hui sont les mêmes que celles d'hier. La première séquence des forçats, filmée quasiment comme une comédie musicale, est plutôt plaisante, et en même temps, ce n'est pas fait uniquement pour montrer une petite situation amusante, c'est pour attirer notre attention sur le fait qu'ils sont entraînés à chanter en travaillant et donc, sans le savoir, ils vont se mettre à chanter tous les trois de très beaux chants country : si on n'avait pas commencé par les forçats qui chantent, on ne pouvait pas imaginer comment ces personnages se retrouvent face à un micro et deviennent des super vedettes. Les Coen jouent donc sur des éléments qui vont se répondre les uns aux autres et, en ce qui concerne la bande son, ils utilisent de la musique qui, à la fois, joue à fond le country, c'est-à-dire l'Amérique profonde et l'âme américaine, le soul, avec jonction de cette musique de Blancs avec la musique de Noirs qui est tout autant l'âme profonde d'une autre Amérique : les trois héros allaient donc rencontrer forcément le Noir. Le Noir, et c’est tout aussi logique également dans cet univers, s’est forcément donné au démon, puisqu’un Noir ne peut bien jouer de la guitare qu’avec l’aide du démon, parce qu’il n’est pas possible que les Noirs aient des dons dans ce contexte, et il a donc vendu son âme au diable. Au niveau de l’écriture du scénario, les Coen se sont sûrement bien amusés mais, en même temps, chaque situation est bien pensée grâce au jeu des références.


UN FILM POLITIQUE ?

Le film repose sur l’idée de savoir comment Homère aurait fabriqué L'Odyssée s’il avait vécu en 1930. Dans ce cas, il est logique que le film parle du Klu Klux Klan. Le Klan, c’est quelque chose de très important en Amérique, qui a été évoqué au cinéma dès " Naissance d’une Nation " de Griffith, qui explique pourquoi ce mouvement est né juste après la Guerre de Sécession, de façon admirable même s’il s’agit d’un film à fortes tendances racistes où tous les stéréotypes en la matière apparaissent : les blancs ayant été obligés de libérer les esclaves, ils ont joué sur la naïveté et la crédulité des Noirs pour s’habiller en fantômes afin de leur faire peur. Le mouvement est ensuite retombé, et c’est ensuite en 1912-1914 qu’ils ont repris une véritable fonction politique contre la libéralisation des Noirs, jusqu’aux années 30-40 où l’on dénombrait trois ou quatre lynchages par semaine. L’éveil du Klan est donc extrêmement important dans les années 30, et plus encore dans ce Sud profond violemment fasciste.