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Objectif Cinéma (c) D.R.

L'ennui est un film sur le mystère de la présence, de la chair et de la féminité. L'histoire procède à la façon d'une enquête policière : comment le peintre est-il mort ? L'a-t-on assassiné ? Est-ce Cécilia ? Du début à la fin de leur relation, Martin l'accable littéralement de questions, à la manière d'un flic. Mais le mystère, c'est-à-dire l'objet de l'enquête, va se déplacer : on passe du niveau très limité de la cause de la mort à un niveau plus général, plus ontologique : celui de la présence, de la chair. Car Martin n'est pas flic mais philosophe : un flic de l'être en quelque sorte. C'est donc le personnage de Cécilia, dans son essence même, qui constitue la seule énigme du film. De fait, ce personnage est présenté et filmé comme tel, une présence pure, inexplicable, qui n'a d'autres raison que d'être-là. Tout le récit de L'ennui fonctionne comme une enquête sur la femme que ne cesse de mener, jusqu'à la folie, le personnage principal, à la recherche de la vérité.

Le couple formé par Martin et Cécilia est aussi un couple comique, par l'opposition de leurs caractères. La seconde est l'antithèse parfaite du premier. Le film de Cédric Kahn comporte beaucoup de moments drôles. Par exemple, le décalage de Martin avec la réalité, qu'il cherche constamment à analyser et à expliquer, jusqu'aux moindres actes de la vie courante, contrairement à Cécilia qui accepte la réalité telle quelle, sans se poser de questions (sa figure de style est la tautologie : "l'ennui, c'est de l'ennui" dit-elle).

  Objectif Cinéma (c) D.R.

En même temps, la dimension comique du film s'accompagne d'une charge d'angoisse et distille un malaise croissant. Mieux, la drôlerie est sourdement travaillée par l'angoisse, car il y a une logique de mort dans ce récit. Dès le début, le film annonce la couleur puisque Martin dit en voix off qu'il est un personnage lancé dans une course vers la mort, prenant l'image de l'automobiliste roulant à corps perdu sur son véhicule. De fait cette phrase inaugurale est évidemment programmatique : elle dévoile le mode de fonctionnement du récit, à savoir un processus de mort qui entraîne le personnage de manière irréversible. En cela, L'Ennui est construit comme une tragédie (comme Roberto Succo du reste : tout est joué d'avance), obéissant au schéma classique de la fatalité. Cultivant un léger côté film noir, il reprend la figure archétypale de la femme fatale mais en la détournant, ou même en la parodiant : avec son physique enrobé et son coté ordinaire, Cécilia est une anti-vamp. Et pourtant, plus le récit avance, plus elle apparaît inquiétante, et surtout elle est vecteur de mort. Elle accomplit l'union d'Eros et de Thanatos.

Objectif Cinéma (c) D.R.

Chez Martin, la montée de l'angoisse (qui est un concept philosophique analysé par Kierkegaard, Schopenhauer, Heidegger, Sartre etc.) va se traduire par un état croissant de fébrilité, une nervosité, une gesticulation, trahissant le caractère maniaco-dépressif du personnage. Sur le plan formel, cet état est rendu par un montage fulgurant, violent, elliptique, qui donne à ce film des allures de film d'action et contraste un peu avec un sujet assez intello. En ce sens, Cédric Kahn s'est complètement réapproprié le roman de Moravia, impulsant un rythme rapide et nerveux qui n'existait pas dans le livre, beaucoup plus dolent. Il nous donne ainsi sa vision personnelle et quelque peu paradoxale de l'ennui. Car c'est bien lui, "ce monstre délicat" comme dit Baudelaire, qui est au centre de la mécanique infernale du récit. Dans le film de Kahn, l'ennui renvoie au fameux mystère de la présence, de la chair. C'est pourquoi il est étroitement lié à la sexualité.