Nogdabovitch dit : "Romac,
tu n'as pas vu Pour le sauver. Tout Ford est déjà là : la
petite ville du Montana avec ses palissades et ses feux de
camp au loin, les nuages de poussière éclairés en contre jour,
l'œil infaillible pour la composition et la vitalité, qui
dynamise la puissance narrative des films. Cette vitalité
est particulièrement évidente dans la magnifique séquence
de l'attaque des trois sublimes canailles"
Daylins s'adressant à Romac
: "Peux-tu nous dire, à présent, à quoi tu pensais
lorsque tu suggérais le détail comme une des grandes caractéristiques
des films muets ?"
Nogdabovitch s'empara de
la parole : " Dans Pour le sauver, on trouve la précision
du jeu des acteurs et ce souci du détail."
Romac continua "Il
me semble que c'est Griffith qui lui a donné la manie du détail,
aussi bien dans le jeu des acteurs que dans les décors. Le
détail était le résultat d'une obsession que l'on trouve chez
beaucoup de cinéastes comme Kubrick ou Lang, et qui vient
de Griffith. Il avait la manie d'emporter des malles entières
de livres concernant le sujet de son film. Et il lisait tout
sur le sujet. Ford pouvait s'enfermer des semaines à lire.
Et même pendant le tournage, il continuait à s'informer, à
la recherche de détails."
Nogdabovitch acquiesça :
"On dit souvent que Griffith est l'inventeur de la syntaxe
cinématographique, ce qui est vrai, mais il est aussi l'inventeur
d'une façon de travailler. Ford disait à propos de lui : "Nous
l'avons tous copié. Ce n'était pas du plagiat. Il était notre
modèle. Griffith était le seul qui se préoccupait du moindre
détail. Nous étions en pleines ténèbres, il nous a amenés
à la lumière."
Daylins intervint : "Je
me souviens qu'on devait remettre un oscar à Ford : on s'attendait
non pas à un discours mais à une blague. Et voici ce qu'il
fit : il leva les yeux au ciel et dit simplement : "Merci
D.W"
Daylins : "Je vois
une autre source de cette manie du détail. C'est sa myopie
précoce. Elle donnait à sa vision une certaine réalité. Il
s'amusait souvent à un jeu qui consistait à voir d'abord sans
ses lunettes, puis avec. D'abord, il ne pouvait se fier qu'aux
mouvements des gens, des bêtes ou des machines. Dès qu'il
remettait ses lunettes, le monde reprenait ses formes précises
et les détails surgissaient. Sa déficience devenait pour lui
un don particulier pour ne voir vraiment que ce qu'il voulait
voir."
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