Nogdabovitch : "Je
crois que le détail révèle tout le talent de narrateur de
Ford. La grâce et la simplicité des situations viennent de
là. On pourrait dire qu'après Caméo Kirby, Jack va s'intéresser
de plus en plus aux situations, il va s'efforcer de mettre
en valeur des caractères à la faveur des faits et des gestes
d'une poignée d'hommes, réunis dans un lieu quelconque par
des circonstances fortuites ou par le destin."
Romac : "D'ailleurs,
on a l'impression que ses scénarios vont être de plus en plus
élaborés."
Daylins : "Ça
c'est bien vrai. Cela n'a rien à voir avec les débuts de Ford.
Jack s'amusait beaucoup. Il tournait dix versions d'un même
scénario en changeant les acteurs et les lieux de l'action
sans éveiller le soupçon du public. Depuis, c'est devenu une
spécialité hollywoodienne. A partir de ces jeux de l'époque
du muet, c'est devenu une manie de tourner dix films à partir
d'un bon scénario."
Nogdabovitch cherchait,
dans une sacoche qu'il portait avec lui, un cahier.
"Je crois que j'ai quelque chose là-dessus... (en
s'adressant à Daylins) sur l'époque de Maman de mon cœur.
Voilà, je vous les lis, ce sont les mots de Ford : "A
cette époque, vous alliez vous coucher et le lendemain matin,
très tôt, vous receviez un coup de téléphone et hop ! Vous
vous retrouviez avec un nouveau film sur les bras. Une fois,
je suis arrivé sur le plateau à 7 heures du matin. Il y avait
plein d'acteurs que je ne connaissais pas, dont un gars qui
avait une scène dans laquelle il devait embrasser une fille.
On a commencé et j'ai dit au type : "Si tu dois l'embrasser,
embrasse-la vraiment. Sur la bouche. Tiens la dans tes bras"
Et l'acteur de me répondre : "mais Monsieur Ford, elle
est censée être sa fille !" J'ai fait : "Oh ! Quelqu'un
a le scénario ici ? que je vois un peu" Après ça, j'ai
essayé de lire les scénarios avant de tourner.
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Nogdabovitch : "Il
n'avait pas vraiment de scénarios, juste une continuité. Souvent,
il lisait la continuité avant le tournage, s'imprégnait de
l'histoire, qu'il réinventait chaque jour sur le plateau.
C'est comme ça qu'il s'est fait remarquer, par son inventivité
sur le plateau. Un critique écrivait, à propos de Bucking
Broadways (1917) : "J. Ford fait encore preuve de sa
grande habilité à intégrer les décors extérieurs dans ses
films... l'intrigue n'a rien d'original mais il y a ici et
là certains détails qui rehaussent le niveau de ce genre d'histoires."
Daylins continua : "Je
crois que Ranch Diavolo reflète déjà le goût profond de Ford
pour les situations authentiques et les personnages sincères.
Les situations les plus familières prennent une vie intense
par la conviction avec laquelle elles sont imaginées. Par
exemple, La scène du couvert. Le jeune Ted est mort. Le couvert
avait été mis pour le souper, comme à l'ordinaire. Sa sœur
débarrasse machinalement la table, et c'est au moment où elle
prend l'assiette, le couteau et la fourchette de Ted qu'elle
ressent brutalement, au plus profond de son cœur, tout le
poids de sa disparition. Plus loin dans le film, ce sombre
drame s'allège par quelques scènes d'humour, entre deux scènes
dramatiques : lors du siège final, alors que le combat fait
rage et que les balles sifflent aux oreilles des antagonistes,
un hors-la-loi apercevant sur une étagère une bouteille prometteuse,
y trempe un doigt, le lèche, et s'assurant d'un regard circulaire
que personne ne l'observe, il la fait prestement disparaître
sans sous manteau avant de reprend la lutte. Pour Ford, qui
a toujours eu une vision innocente du monde, les hommes se
comportent parfois comme de grands enfants. C'est dans cette
alternance entre le drame et l'humour que Ford est proche
de la vie. Dans Pour le sauver, Le comportement des personnages
sonne juste malgré les incohérences du scénario : leurs émotions
semblent sincères et ainsi, même les actions les plus stéréotypées
prennent vie."
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