Romac : "Toujours
cette manie du détail, cette simplicité extraordinaire à le
manier."
Daylins : "Vidor
disait, à propos de John Ford, qu'il est inutile de louer
sa technique, si simple, si spontanée : ce qu'il faut surtout
souligner, c'est le fait qu'il l'a toujours mise au service
d'idées nettes et saines."
Romac : "Il me semble
avoir lu souvent des critiques qui disaient de Ford qu'il
était réactionnaire, que ses westerns étaient racistes envers
les Indiens."
Daylins : "L'ambiguïté
de Ford est une provocation. Quand il disait qu'il était à
la fois anarchiste et militariste, il pouvait prouver ce qu'il
disait et résoudre la contradiction. Mais si vous regardez
ses films, ils n'ont aucune ambiguïté. Ses films reflètent
l'expression d'une personnalité forte, attachante, qui exprime
clairement ses convictions, sa foi en l'amitié et en à la
famille, son amour des hommes, sa sympathie envers les humbles
et les déshérités, et son mépris pour les vaniteux et les
hypocrites. Son humour profond, oscillant entre la finesse
et la bouffonnerie, est toujours présent pour contrebalancer
les menaces de sensiblerie ou de prétention. Son œuvre est
chargée d'humanisme, et Ford est profondément humain."
Romac proposa un jeu aux
deux promeneurs : "Je vais vous demander de me prouver
que Les Raisins de la colère est un film de Ford. Je ferais
celui qui n'est pas convaincu"
"Ce sera plus facile
que de prouver que La Rivière rouge n'est pas de Ford",
lança Nogdabovitch d'un air amusé. Romac ne semblait pas comprendre
l'allusion.
"Beaucoup de gens croient que Ford est l'auteur de
ce film car c'est un western célèbre avec John Wayne. Aussi,
quand quelqu'un venait à tort, complimenter Ford sur La Rivière
rouge, le cinéaste répondait, tout à fait à l'aise : "Merci
beaucoup : il en sera remercié." Le film, en fait, est
de Hawks. Les gens ont encore cette équation western égale
Ford et Ford égale western."
Daylins n'écoutait pas les
remarques de Nogdabovitch, il semblait réfléchir intensément
à quelques problèmes qui venaient de se poser à lui. Il sortit
de sa réflexion pour leur en faire part.
- Romac, tu nous demandes,
à Nogdabovitch et moi-même, de te prouver que Les Raisins
de la colère est bien un film de John Ford.
- Oui.
- Suggères-tu une méthode ?
- Te souviens-tu que Nogdabovitch proclamait l'existence d'une
unité de l'œuvre de Ford ?
- Oui, c'est bien ce qu'il a dit.
Nogdabovitch approuva :
- J'ai dit effectivement que l'œuvre de Ford va comme le cours
d'un fleuve, troublé par des tourbillons, des petites chutes,
mais qui ne dévie pas d'un pouce.
Romac reprit :
- L'unité doit bien provenir d'une récurrence de choses dans
toutes ses œuvres, y compris dans Les Raisins de la colère.
Je suggère donc que vous me donniez tous ces éléments récurrents
présents dans le film.
Les yeux de Daylins pétillaient de malice :
- Si je t'ai bien compris, tu veux que nous rapportions tel
élément des Raisins de la colère à tel autre film de
Ford.
- Tu m'a bien compris ?
- Mais as-tu songé que notre preuve reposera sur ta foi en
notre parole ?
- Je ne te comprend pas.
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