" Silencio " résonne
alors autrement à notre oreille pour devenir une leçon
de cinéma, pour être l’artefact atmosphérique,
silencieux, que suggère le commencement de toute scène.
La scène se transformant simultanément
en un plateau de cinéma qui ne pouvait fonctionner
qu’avec la présence symbolique des deux jeunes actrices.
Mais si Rita et Betty demeurent le support
nécessaire pour véhiculer la représentation
d’une émotion, Lynch nous livre surtout la désagrégation
d’une représentation qui ne fonctionne que par empathie
à une certaine idée du rêve hollywoodien.
À l’opposé des contingences
et des affres dans lesquelles s’embourbe le jeune réalisateur
du film en pantin désarticulé, produit de studio ;
Lynch installe un pur moment de cinéma en filmant l’artifice
le plus grossier et le plus simple que peut nous offrir le
Spectacle.
Si l’on considère qu’ il y a événement
dès lors que nous assistons à l’effondrement
d’une représentation, le réalisateur de Mulholland
Drive crée de la manière la plus évidente,
un événement cinématographique primaire
et fondamental en filmant la faille représentationelle
instaurée par ce simple play-back.
Lynch, doté de ses tropes habituels :
lieu cloisonné et feutré, la chanteuse…dessine
en creux inversé la boursouflure d’un système
cinématographique qui se perd dans sa propre représentation.
Il esquisse une faille où vont s’engouffrer Betty et
Rita.
De cette scène-pivot s’ensuivra la
transformation Rita-Camilla ainsi que la métempsycose
de l’âme d’actrice de Betty.
L’évidence n’est bien sûr plus
de mise pour le spectateur, si nous espérions entrevoir
une dialectique lynchienne et une logique linéaire
dans les événements qui vont surgir, nous nous
perdrions en verbiage inutile.
Il convient simplement d’entrevoir les obsessions
de David Lynch sous l’angle d’un agencement narratif complexe
qui trouve sa généalogie dans une réflexion
permanente où se condensent les rêves et cauchemars
d’une société américaine incapable de
radiographier un tant soit peu ses propres névroses.
D’UNE CREATION
CINEMATOGRAPHIQUE
A UNE CARTOGRAPHIE DES PULSIONS
SOUTERRAINES
(Schizo-Analyse d’après Mille
Plateaux de Deleuze et Guattari…)
David Lynch affirme et filme le souterrain,
l’underground, cherchant à entrevoir ce qu’il peut
y avoir sous la surface des choses. Un plan simple devient
chez le réalisateur une radiographie des multiples
connexions qui s’opèrent sous la surface comme s’il
cherchait à obtenir une coupe latérale de chaque
objet, de chaque personnage, nous dévoilant les racines
profondes et distributives de chaque être dans ses névroses
les plus symptomatiques.
Ce qui est seulement en partie exacte. L’éclatement
systématique de la narration, ainsi que la dissémination
des différentes obsessions schizophréniques
ne rendent pas compte de la construction formelle. Si l’on
croit que Lynch se contente d’appuyer sa puissance subjective
sur le furoncle névrotico-obsessionel américain
pour en charrier des images cauchemardesques, il y a alors
tout un pan du travail expérimental du réalisateur
qui nous échappe.
Mulholland Drive n’est pas seulement
un film qui nous dévoile les racines profondes d’un
malaise, il s’agit plutôt pour lui d’appréhender
ses visées par une approche qui exclue le principe
explicatif propre à toute généalogie
arborescente ( de type racine) qui se trouve à la base
de toute structure logique de pensée ( et de tout scénario
classique).
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