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François est metteur en scène, avant même que le film ne nous le présente comme tel, avant même que le film ne commence ; c'est en tant que metteur en scène qu'il répondra aux exigences du principe de réalité et c'est en suivant ses principes de mise en scène que la toute-puissance néfaste de son désir s'incarnera sans transiger dans le réel, littéralement : se réalisera. L'intransigeance de Sauvage Innocence, sa beauté, est là, dans le retour du réel à chaque plan (le père de François joué par le père de Garrel, une petite fille sur le tournage, jouée par la propre fille de Garrel ; le splendide noir et blanc de Coutard, chef opérateur par excellence de la lumière naturelle ; les photos de la défunte, photos de Nico ;…).


Sensation d'une théorie vampirique à l'œuvre dans Sauvage innocence.

Sauvage Innocence (c) D.R.

Sauvage Innocence est aussi un film sur l'amour et la dépendance au cinéma.
Son addiction couvre, par le relais mythologique des figures garrel- liennes (le couple Nico-Garrel, la drogue, l'intransigeance cinéma-tographique…) la transmission vampirique d'une obsession devenue inverse chez Garrel qui maintenant démythifie le processus de l'addiction et la drogue en elle-même. Dans Sauvage Innocence, cela se concrétise par une volonté de " faire un film contre la drogue ", par un désir de retrouver la lumière, lux, et une volonté de retour à un cinéma originel, débarrassé des oripeaux seventies d'une idéologie romantique et communautaire des stupéfiants pour entrevoir l'écheveau complexe de la dépendance.
Qu'elle soit matérielle, physiologique ou artistique, nous observons sous la lumière de Raoul Coutard au transvasement de cette dépendance ; Garrel l'inocule dans son film pour qu'elle se déploie par la suite en flux vampiriques à chaque niveau de construction du film en devenir, et il réussit le tour de force d'éviter les écueils du film dans le film

Il y a quelque chose du vampire dès la scène d'ouverture, où nous voyons en champ/contrechamp, François Mauge (Mehdi Belhaj Kacem) jeune cinéaste fixant plus qu'observant des lignes ferroviaires perdues dans ce qui paraît être le cadre d'un paysage naturel au travers de la fenêtre. Cette scène deviendra quelques secondes après celle d'un vampire en vertige s'accrochant par le regard, aux rails, aux lignes de fuites qui le conduiront plus tard en Italie et sur les rails de travelling d'un plateau de cinéma : telle l'image d'une transmission vénéneuse d'une idée certaine et obsessionnelle du cinéma garrellien qui se symbolisera dans la seconde scène par une valise, alors deuxième mouvement inaugural de Sauvage Innocence comme un mémorial insécable au film à venir, telle une adduction au film en devenir.

  Sauvage Innocence (c) D.R.

De cette seconde scène où nous croyons à la réunion de deux amis se trame la monition que nous adresse Philippe Garrel.
De cette valise que semble attendre François de son ami, nous comprenons qu'il s'agit alors d'un échange entre François et le fils de sa compagne disparue, ce qui distille au vu de l'âge des deux protagonistes une étrangeté au statut de François, qui se pare dès lors d'une aura d'immortalité, ou plus précisément d'a-temporalité.
Recouvrant ainsi, a posteriori, la première scène de François à la fenêtre, d'une pré-monition qui l'habille et le définit comme une sorte de jeune Nosfératu lumineux en manque de l'échange à suivre et fixé (au sens junkie du terme) sur son destin.
D'ailleurs, il ne s'agira que d'échange dans cette scène entre François et le fils de ses amours mortes, de la valise à l'argent que François lui laissera, jusqu'au numéro de téléphone du producteur que celui-ci récupérera, nous sommes dans un Deal, avec sa chorégraphie, ses règles et son inévitable destin. Nous sommes dans la transmission, l'échange empoisonné qui se disséminera par la suite, à la signature du pacte faustien qu'acceptera François avec Chas (Michel Subor) en producteur improvisé.


Le territoire de Chas

Chas (mafieux, esthète et dealer) devenu producteur méphistophélique se situera alors à plusieurs niveaux de la création du film de François : argent, création, drogue.
Dans la vampirisation de Lucie, dès la moitié du film, quand Chas dessine une Lucie de papier au dîner qui célèbre les projets de François et de Chas, celui-ci imprime de sa main une Lucie au destin inéluctable, simple vecteur à l'atavisme sentimental du jeune cinéaste, qui en fera potentiellement une Lucie de pellicule qu'il oubliera en tant qu'elle.
François, vampirisé par ses souvenirs va demander à Lucie l'impossible : d'être elle-même, une sorte de spectre spectaculaire qui se réifiera en un matériau réminiscent (les amours perdues du cinéaste).
Actrice, elle jouera le jeu, par décrépitude amoureuse et irrigation intraveineuse d'héroïne gracieuse-ment fournie par Chas, allant jusqu'à la mort (?) et la fin concrète du film en train de se jouer.