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Donnie Darko
a tout du film d’ado : un héros adolescent, dérangé
et charismatique, la college attitude, la représentation
de la cellule familiale en crise. Mais parmi les nombreuses
choses qui font de Donnie Darko bien plus qu’un simple
produit de genre à consommation rapide et recyclable,
c’est son incroyable force nostalgique qui le rapproche indéniablement
d’un autre film, le Virgin Suicides de Sofia Coppola.
Les deux partagent un sens de l’évocation, du sentiment
d’appartenance, qui en font des films exemplaires de la douleur
d’être un jeune américain dans les années
70 et 80. Car les deux auteurs de ces films ont situé
leurs intrigues dans un passé encore assez proche par
la présence de ses vestiges dans nos sociétés
du revival continuel. Ainsi Richard Kelly recrée les
eighties de manière subtile, en citant Retour vers
le futur, en intégrant à sa bande-son Tears
for Fears (album Songs of the big chair) ;
c’est aussi le moment de la campagne présidentielle
pour les candidats Bush et Dukakis. Ce qui provoque des débats
au sein de la famille. Une famille américaine typique,
comme les teenage movies adorent en montrer : la mère
plutôt progressiste mais dépassée, lisant
Stephen King pour se distraire, la fille aînée
délurée mais promise à Harvard, le père
quasi inexistant, le petit dernier, et enfin le fils malade,
asocial mais clairvoyant. Le film s’engage au début
à nous faire le tableau de ce paysage, mille fois revu,
d’une ville provinciale américaine avec ses résidences
bourgeoises alignées, ses chemins d’écoliers
vus dans Halloween, ses gazons entretenus vus dans
Blue Velvet. C’est là bien sûr la physionomie
urbaine de toute banlieue résidentielle américaine,
mais tout se passe comme si le cinéma de genre s’en
était emparé pour en faire le décor quotidien
de drames en attente, de sorte que visiter réellement
une de ces banlieues donnerait sans doute la sensation de
ne pas être à l’abri d’une éviscération
près d’un bosquet.
Adolescence brûlée
Dans la famille Darko,
le fils Donnie souffre de schizophrénie. Il se réveille
au petit matin dans des terrains de golfs ou sur la route,
oubliant ce qu’il a bien pu faire la nuit dans son état
somnambulique. Il répond par ailleurs aux ordres de
son ami Franck, un lapin géant à la gueule défoncée
qui lui annonce le jour de la fin du monde. À cet instant,
le film a déjà basculé dans un entre-deux
passionnant entre la psychose de Donnie et la réalité
du monde. Le film ne donnera d’ailleurs pas de réponse
dans son dénouement, laissant le récit à
son mystère, ne préférant placer la vérité
ni dans la folie, ni dans une réalité indéchiffrable
et insupportable, bien qu’on sente intimement au sortir du
film que le réel en lui-même, poussé jusqu’à
ses limites, ouvre une béance aussi grande que la psychose
du protagoniste. Donnie Darko, qui sent bien qu’il n’est pas
comme tout le monde, fait l’expérience douloureuse
de la réalité, c’est à dire de la présence
de l’être et de sa non-existence en creux. Les délires
de Donnie, si tant est que ce sont des délires, expriment
des possibilités d’évasion d’un monde atroce,
où l’éducation des jeunes se fait dans des collèges
sclérosés par les conventions, où le
proviseur préfère faire appel à une sorte
de gourou de la nouvelle pensée positive (Patrick Swayze,
étonnant dans un rôle de prédicateur pédophile)
plutôt que de soutenir l’enseignement critique d’une
jeune prof de lettres (Drew Barrimore en prof post-hippie),
où les petites filles n’ont pas d’avenir autre qu’être
de jolies pom-pom girls, où les adultes construisent
un monde aux choix politiques réactionnaires. Donnie,
lui, cherche autre chose, par sa folie, par ses désirs,
son art, son attitude rebelle et non conformiste. Il cherche
le saccage, le renversement des valeurs ; il est la voix
même de l’adolescence qui hurle sa détestation
du monde adulte. Mais bien sûr personne ne le comprend ;
ni son prof de physique avec qui pourtant il sympathise (Noah
Wyle, le John Carter d’Urgences), ni la jeune fille
dont il tombe amoureux. Sa quête est celle de la sortie
du monde actuel ; le film va alors habilement entrer
dans la S-F, brodant autour du voyage temporel et des trous
de vers (invention cosmologique permettant de traverser l’espace-temps)
un récit qui augmente en intensité à
mesure qu’on se rapproche de la date butoir de la fin du monde
annoncée au début. Il est dommage pourtant que
Richard Kelly ne tienne pas réellement son intrigue,
cherchant peut-être trop à lui donner une contenance
objective, au travers de références à
Stephen Hawking et aux trous de vers, et en laissant de côté
des éléments envisagés mais inaboutis,
comme cette relation de Donnie Darko avec une vieille folle
ayant écrit un manuel de voyage spatio-temporel.
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