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Dans ce cinéma-somme s'entrecroisent
alors les deux manières précitées d'appréhender la connaissance
du monde : donner à réfléchir et réfléchir pour donner. Les
oeuvres d'Egoyan, par exemple, bien que discursive [figure
de l'exil, recherche de l'identité, notamment dans Family
viewing et Calendar demeurent des blocs hermétiques,
moteurs de réflexion. Le parti-pris esthétique (en l'occurrence
les réduplications par utilisation de la vidéo) ne parle pas
en lui-même, mais balise un chemin qui mène à la réflexion
; propre à Egoyan d'abord [son identité, son histoire]; propre
au spectateur, qui en vient à se questionner [mon identité,
mon histoire]. L'auteur demande au spectateur sa participation.
Les deux démarches s'entrelacent ici : la vision brute amène
au point de vue. Marker répond encore à cette définition de
l'auteur. Dans Level five, une mosaïque totalement
hermétique basée sur l'utilisation systématique de l'image
muséale (archive, synthèse...), il met le spectateur devant
un obstacle [littéralement, un mur d'images] pour l'amener
à questionner l’œuvre. La démarche spectatorielle s'achève
encore par la mise en relief du point de vue markerien (forger
la mémoire humaine sur l'image muséale entraîne la mort de
la mémoire...).
La richesse cinématographique
ne viendrait donc pas de l'expression discursive ou de l'expression
maïeutique (au sens où elle accouche l'esprit, sans le questionner
manifestement) mais d'une forme hybride, qui ferait converger
ces deux voies vers un même point, centre névralgique du cinéma
d'auteur.
FAISEURS ET PETITS MAÎTRES
Le statut d'auteur n'est
évidemment prêté qu'à ceux qui proposent une ambition artistique.
La majorité de la production filmique n'y tend pas. Les cinéastes
se distinguent alors des réalisateurs par ce qu'ils ont un
univers propre, reconnaissable sans signature (l'univers constituant
justement cette signature...), par ce qu'ils sont sans cesse
en recherche d'expérimentation pour se confronter à cet univers.
Ce qui engendre la constitution d'une œuvre, striée de réseaux
synoptiques entre des thèmes récurrents. Ce qui les écarte
ontologiquement de la mise en scène blanche et générique qui
caractérise les réalisateurs, simples techniciens souvent
interchangeables. L'originalité est symptôme premier du cinéaste
comme l'académisme, au sens le plus péjoratif et sclérosé
du terme, l'est du réalisateur.
Le système de production
cinématographique porte en son organisation un clivage incontournable
: les studios ne peuvent faire sans garantie de rentabilité.
Il ne s'agit pas ici de schématiser les rapports entre indépendants
et majors et de nier toute possibilité de qualité cinématographique
à Hollywood ou chez Gaumont. Etre un auteur ne veut pas dire
réussir du bon cinéma (mais tenter...) tout comme travailler
dans le carcan des studios ne signifie pas être un simple
faiseur. Depuis toujours, les majors ont regorgé de talents
(Griffith, Welles, Lang, Scorsese, De Palma, Hitchcock...)
qui se sont exprimés au travers d'un prisme du système. Demeurent
cependant, dans le cinéma de genre essentiellement, nombre
de réalisateurs qui ne conçoivent pas de démarche artistique
pour le cinéma, mais simplement une notion d'efficacité filmique.
Cela s'est traduit à l'âge d'or par une esthétique de la transparence
qui trouve en notre temps, même anonymement, son apogée.
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