En second lieu, dans cette scène
d'ouverture, la montée de la terreur repose sur une
construction bien précise fondée sur un procédé
de gradation de l'information et de resserrement de l'espace.
Tout commence dans la banalité et le non soupçon
du danger. On est ensuite informé, par une série
de preuves, de l'existence d'un danger mais il reste dans
l'indétermination. Vient son rapprochement, et son
éclatement. On le voit, la peur naît ici d'une
alliance subtile entre la connaissance (conscience d'un danger)
et l'ignorance (où et quand le danger va se réaliser).
Parallèlement, la mise en scène procède
par resserrement spatial. Normal : pour qu'il y ait peur,
il faut que le danger rôde, il faut l'indice d'une présence,
d'une proximité. La jeune fille prend son interlocuteur
au sérieux aussitôt que celui-ci lui dit : "
j'aime voir la personne à qui je parle "
; il passe alors d'un statut de correspondant anonyme à
celui d'être présent et proche. Dès lors,
la mise en scène délaisse les plans d'ensemble,
neutres et dédramatisés, au profit de plans
rapprochés sur la jeune fille, comme si l'espace se
resserrait autour d'elle. Par la seule force de sa mise en
scène, Craven suggère que l'ennemi approche
et que toute issue est bloquée. C'est dire l'importance
du hors-champ. On peut dire que la peur commence avec celui-ci.
En effet, le film s'ouvre par un moment de banalité
et le hors-champ n'a pas lieu d'être puisque la totalité
du sens de la scène se concentre dans ce qui est représenté.
Mais dès lors qu'on veut suggérer une présence
autre, il prend toute sa valeur. Le personnage est
cerné par l'ennemi de la même façon que
le champ l'est par le hors-champ. Ce dernier désigne
alors ce non-espace, le territoire illimité de l'ennemi,
où l'invisibilité se confond avec l'ubiquité.
C'est que, insituable, le tueur est partout : il peut surgir
n'importe où. C'est alors que la terreur culmine dans
la surprise : l'apparition brusque du tueur dans le champ.
Craven trouve là un procédé classique
par lequel il s'amusera à jeter des fausses pistes
: plusieurs fois, un personnage apparaîtra ainsi et
deviendra un coupable potentiel.
Tout
ce qui a trait à la terreur se trouve donc résumé
dans cette scène. Par la suite, des procédés
de distanciation vont peu à peu envahir et miner
le climat d'horreur du film, détruisant la croyance
acquise du spectateur (l'émotion) et installant le
film du coté du comique (l'intelligence).
L'élément fondamental
de distanciation dans Scream réside dans les
procédés de réflexivité et de
mise en abîme. Scream est un film d'horreur
qui réfléchit sur le film d'horreur; il démonte
les codes, règles et autres ficelles du genre,
ou plutôt il les utilise, en indiquant bien qu'il
le fait, par l'intermédiaire de personnages qui commentent
l'action en la référant sans cesse au cinéma,
comme s'ils avaient conscience de jouer dans un film. Effet
de distance et de comique indéniable : par ces références,
l'illusion réaliste est sapée (on nous rappelle
que c'est du cinéma) et le cinéaste semble
se moquer de lui-même, et n'être pas dupe de
ce qu'il filme. Cette désignation du cinéma
par lui-même obéit moins à la théorie
brechtienne de la distanciation qu'à une esthétique
baroque où le réel est contaminé par
ses doubles (les représentations : art, spectacle,
cinéma etc.), où l'on ne distingue plus réalité
et spectacle, où tout est soumis au règne
de l'illusion. L'héroïne Sydneydonne
sa définition du film d'horreur à son agresseur
: un tueur débile poursuit une fille stupidequi
se réfugie dans le grenier au lieu de fuir dehors.
Le personnage de Randy, cinéphile érudit,
dans une scène qui se passe dans un lieu-clef (le
magasin de cassettes vidéo où il travaille),
affirme que le petit ami de Sydney est le coupable parfait
d'un film d'horreur; plus tard, ironie suprême du
cinéaste, il ira jusqu'à donner à ses
camarades les trois règles fondamentales du film
d'horreur. Ainsi, on en vient à cette grande idée
baroque selon laquelle la vie est un spectacle, bref un
film dont nous sommes les acteurs. C'est d'ailleurs exactement
ce que dit Billy à Sydney après qu'ils aient
fait l'amour. Mieux encore, dans Scream, la nature
imite l'art ; le réel copie le cinéma et inversement
le cinéma crée le réel puisque les
personnages jouent à être des personnages de
film (victimes et agresseurs).