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Malgré cette démarche
légèrement différente, les deux histoires
convergent pour le reste de manière quasi parfaite.
Dans Satin rouge comme dans Dirty Dancing, le
corps ne peut amorcer sa mue que dans un lieu spécialisé :
une salle de bal très kitsch pour le film américain,
un cabaret rococo pour le film franco-tunisien. Dans les deux
cas, cet intermédiaire immobilier est indispensable
à leurs métamorphoses. Sans le regard des autres,
du public qui peuple ces endroits, leurs quêtes de liberté,
d’une certaine reconnaissance en tant que femmes seraient
vaines. Au début de Satin rouge, Lilia exécute
bien quelques ondulations du bassin devant sa glace, mais
ce ne sont que les prémices d’une démarche plus
longue et plus complexe. Selon les deux réalisateurs,
la découverte de sa féminité ou sa reconquête
doivent se traduire en public, car le regard que portent les
autres personnes, et surtout les hommes, est en quelque sorte
le miroir de vérité. Si les yeux des spectateurs
brillent d’admiration ou de désir, elles auront, et
là seulement, gagné leur pari.
Il n’est pas étonnant de constater
que les lieux choisis correspondent à des représentations
d’une culture nationale traditionnelle. La salle de bal de
Dirty Dancing est une espèce de MJC familiale
avec des rangées de chaises soigneusement alignées
et un podium façon kermesse du village, croisement
étrange entre un gymnase et une église. Dans
la quasi-totalité des films américains traitant
des années soixante ( de Retour vers le futur
à Virgin Suicides), on retrouve des endroits
similaires qui accueillent fêtes de fin d’années
et autres spectacles.
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Pour Satin rouge,
la remarque est aussi valable. N’importe quel néophyte
en danse orientale vous décrira un cabaret où
les ventres se meuvent en rythme, qui ressemble à s’y
méprendre à celui que nous présente Raja
Amari. Ce n’est pas de la divination, c’est juste que les
images dont nos yeux sont gavés depuis tout petit nous
renvoient instinctivement à de tels lieux. Robes pailletées,
nombril à l’air et spectateurs mâles surexcités,
c’est un peu l’idée qu’on se fait tous d’un cabaret
tunisien.
Les deux réalisateurs
ne décrivent pas pour autant des endroits forcément
stéréotypés. Ils sont certainement conformes
à la réalité locale, mais le fait de
placer les apprentis danseuses dans un cadre extrêmement
classique n’est pas anodin. La salle de bal et le cabaret
où elles vont respectivement danser résument
en effet la société du dehors. La fameuse Baby
de Dirty Dancing, interprétée par
l’actrice filante Jennifer Grey, ou la charmante Lilia de
Satin rouge doivent toutes les deux affronter un environnement
très conservateur où la vision de la femme est
fort réductrice. Mère, nourrice, cuisinière,
poupée gonflable à l’occasion, voilà
comment les mâles dominants définissent plus
ou moins directement la gente féminine.
Dirty Dancing se
déroule dans les années soixante. A l’époque,
la libération sexuelle est en bonne voie, mais elle
piétine encore beaucoup, surtout dans l’Amérique
profonde qui sert de cadre au film. La jeune Baby a du mal
à faire accepter à son père son attirance
pour un jeune homme politiquement incorrect. Pensez donc,
il porte un blouson noir et arbore une protubérance
capillaire en forme de banane !
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